21 déc. ~ Santa Cruz ~
l Santa Cruz l Here & Now l
Le Santa Cruz nouveau est beau. Et c'est un peu Noël tous les jours avec ce 6e album mis en boîte par les Rennais, enregistré en janvier et mixé en mars 2017... un album plus pop, plus lumineux, de l'aveu de Pierre-Vital Gérard.
Le disque rompt avec la fragilité des précédents albums, les tempos accélèrent, il groove sévère, avec toujours la même attention portée à des arrangements de voix et de guitares qu'ils portent à un nouveau stade, sous la houlette du réalisateur anglais Ian Caple.
C’est effectivement ce dont nous avions envie, des compositions qui fonctionnent davantage sur l’énergie que sur la fragilité (…) mais ça avait déjà commencé avec MicrOrgan, avoue Pierre-Vital au sujet de leur album revisitant en acoustique d’anciennes chansons. C’est sur cet album (MicroOrgan) que nous avons commencé à changer de méthode pour les arrangements.
L'ingénieur du son, mixeur, réalisateur anglais est bien entendu connu pour son travail avec les Tindersticks et pour sa prédilection pour les arrangements de cordes.
Un rêve d'enregistrer avec des cordes, pour l'un de nos fleurons nationaux de l'americana ?
Pas forcément un rêve, plutôt une ambition artistique, précise Pierre-Vital... d’autant plus qu’elles sont écrites par Joseph Racaille. Nous avions déjà travaillé avec lui sur le projet Director’s cut*, nous, plus l’Orchestre Symphonique de Bretagne.
[ ils m'ont envoyé des albums précédents et j'ai su instantanément
que je pouvais travailler avec eux (Ian Caple ]
En tout cas, le groupe fait le choix historique au regard de son parcours de laisser entrer une personne extérieure au cénacle.
Les trois envies de départ sur cet album étaient : bosser avec un réal, aller dans un chouette studio, demander à Joseph de nous écrire des arrangements sur quelques chansons. En gros, nous sortir de notre zone de confort et se donner les moyens de le faire aussi financièrement. Une fois ceci posé, on a réfléchi à trouver la bonne personne.
On a choisi Ian pour son boulot avec les Tindersticks évidemment, et aussi pour Fantaisie militaire, sur lequel Joseph avait également écrit les arrangements de cordes... D’ailleurs le hasard a fait que nous avons choisi le studio Vega** pour enregistrer, sans savoir que Manfred, le proprio du studio, était un ex-musicien de Bashung et l’ami d’enfance de Joseph.
Côté français, c'est aux amis de Bikini Machine que l’on a demandé des renseignements, Ian ayant mixé un de leurs albums.
Car effectivement, si Fantaisie militaire fut le premier pied posé par celui qui, outre Tindersticks, a aussi travaillé avec Suede, Tricky, Stina Nordenstam, Baby Bird, et une ribambelle de choses plus punk, il a ensuite régulièrement posé sa patte sur le travail de groupes made in France... de Kat Onoma à Autour de Lucie en passant par Les Hurleurs, Versari, Les Têtes raides, Yann Tiersen, Emilie Simon, Higelin,... des séjours réguliers qui, s'ils n'ont pas aidé à faire de lui un homme bilingue, lui permettent de trouver dans la scène française des choses qui continuent à le surprendre.
Mon français n'est toujours pas génial ! mais j'ai appris à comprendre plus que je ne peux parler - mais c'est une bonne chose !, sourit-il. Je sais que je peux en général communiquer de manière raisonnable dans une sorte de Franglish !
Ils m'ont contacté - c'est tellement facile de me contacter directement ces jours-ci avec Facebook -, ils m'ont envoyé des albums précédents et j'ai su instantanément que je pouvais travailler avec eux. En France, un groupe comme eux, avec une longue histoire est une chose assez rare...
... et un groupe alt-country en France est probablement encore plus rare !, s'exclame celui dont les travaux fondateurs reposent, de son propre aveu, sur deux groupes semi-obscurs en France, Shriekback et The Mekons.
The Mekons et Shriekback sont deux groupes très importants dans ma carrière, dans les années 80 et au début des années 90, raconte le réalisateur. J'ai passé plusieurs semaines dans de sombres sous-sols avec chacune des deux ! Nous étions tous de cette génération qui a débuté en 77-78, à l'ére du punk, et nous avons tous grandi dans des studios ensemble. Shriekback a été l'un des premiers groupes avec lesquels j'ai travaillé et le premier à m'avoir crédité en tant que producteur. Nous avons mixé des grooves funk avec des bruits industriels, des boîtes à rythmes et des guitares rock. Les Mekons sont réputés pour avoir lancé le mouvement alt-country en Amérique, ils sont toujours très populaires là-bas.
[ Nous recherchions quelqu’un qui choisisse dans nos arrangements,
fasse le tri, prenne des décisions sur les chansons, sur les structures ]
Pour résumer, la carrière d'Ian Caple montre une diversité certaine, une capacité d'adaptation, et surtout une oreille à l'écoute...
Oui, je suis musicien, technicien et psychothérapeute ! plaisante Ian Caple. Chaque artiste a des incertitudes sur la plupart des choses - c'est dans leur nature, si je trouvais un artiste qui aimait tout ce qu'il fait, je serais méfiant ! Une grande partie de mon travail consiste donc à les soutenir et à les encourager. Je suis souvent la première personne à entendre la chanson, alors je dois être positif et leur assurer que tout va bien, tout en donnant quelques conseils sur la façon dont cela pourrait être encore mieux. Parfois, le meilleur conseil est de le laisser tel quel, et cela peut être très difficile pour certains artistes. Ils veulent construire une barrière entre eux et l'auditeur comme une sorte de mur de sécurité, quand parfois le moyen le plus efficace de livrer la chanson réside dans le fait d'être très simple et direct.
Nous recherchions quelqu’un qui choisisse dans nos arrangements, qui fasse le tri, qui prenne des décisions sur les chansons, sur les structures aussi, explique pour sa part Pierre-Vital. C’est ce qu’il a fait, et il a aussi rajouté des boites à rythmes sur deux titres, ce qui n’était pas prévu au départ mais qui était bienvenu.
C'était un super album sur lequel travailler, renchérit Ian... de très bonnes chansons, de très bons musiciens très sympas, et je suis très fier de l'album que nous avons réalisé.
Ils avaient écrit la plupart des chansons et les avaient bien répétées mais ils étaient tous ouverts à quelques idées supplémentaires. Je ne voulais pas toucher à grand chose parce que ça sonnait bien quand ils jouaient tous ensemble. Nous avons donc trouvé un joli studio vintage avec une grande salle d'enregistrement et les avons installés pour qu'ils puissent tous jouer ensemble dans la même pièce, tout comme Dylan l'a fait sur Blonde sur Blonde ! Ils m'ont aussi permis de retrouver Joseph Racaille qui est venu écrire les arrangements de cordes et cuivres. Nous avons enregistré la section des cordes en Angleterre avec mes vieux amis des cordes de Tindersticks... un autre moment merveilleux !
En somme, un environnement et un état d'esprit idéal pour celui qui adore laisser de la place aux expérimentations...
C'est agréable d'entendre un nouvel artiste, d'entendre leurs démos et d'imaginer les possibilités qu'elles renferment. Parfois, les chansons sont juste à l'état d'ébauche mais la voix est bonne et vice versa ! Mais si j'y trouve quelque chose que j'aime ou quelque chose sur quoi je pense pouvoir aider, alors la décision est très facile. Certains artistes viennent avec une idée fixe sur la façon dont ils veulent que tout sonne et comment faire les choses, d'autres n'en ont aucune idée mais sont prêts à essayer des choses...
J'ai toujours aimé le défi et l'aventure, confirme Ian. Je détesterais continuer à faire le même disque encore et encore avec des artistes qui se ressemblent. Je ne comprend pas comment certains peuvent juste faire des disques de dance music ou des disques de metal, etc... ça me rendrait fou !
[ entre la sortie et les premières sessions de travail sur les nouveaux morceaux...
il se sera passé trois ans (Pierre-Vital Gérard) ]
Pour le coup, l'aventure a duré en longueur pour cet album appelé Here & Now !!
Il va donc sortir un an après l’enregistrement, avoue Pierre. C’est la 1ère fois que ça nous arrive, concède Pierre. D’habitude on est beaucoup plus rapide.
Le moment le plus difficile a été le moment du mix. Ian en avait d’abord fait un qui ne nous convenait pas. On a donc pris la décision de le refaire. Mais il a fallu attendre cinq semaines avant d’attaquer le deuxième, le temps que Ian enregistre un album en Australie ! Je l’ai ensuite rejoins dans son studio pendant une semaine pour le mix, mais l’attente avait été longue et stressante.
À l’origine nous avions prévu une sortie en octobre, mais pour différentes raisons, nous avons repoussé de six mois. C’était plus raisonnable aussi pour avoir le temps de mettre en place une bonne promo. Mais c’est vrai qu’entre la sortie et les premières sessions de travail sur les nouveaux morceaux, il se sera passé trois ans.
C’est beaucoup, mais ça n’enlève rien à la pertinence du titre, ça dit tout de même assez bien ou en est le groupe aujourd’hui.
Ce périple a bien entendu été parsemé de moments magiques, dont un sur lequel Pierre autant qu'Ian gardent un beau souvenir.
Le meilleur moment a été le jour où on a joué Radio Talking à Ian, dans une version rapide un peu sautillante qui ne nous allait pas, en lui disant Voila, on a ce morceau qu’on aime bien mais on n’arrive pas à lui trouver sa bonne version. Qu'est-ce que tu en penses ?
Et là, Ian répond que c’est un des plus beaux morceaux qu’il ait entendu depuis longtemps. Et on a trouvé la version du disque dans l’heure suivante, alors que ça faisait un an qu’on cherchait.
Il y avait une chanson qui n'avait pas de paroles, se souvient Ian. C'était juste une mélodie simple sur le piano et la guitare. Ils la jouaient rapide, comme une chanson country bluegrass. Nous avons essayé de l'enregistrer à la fin après avoir enregistré toutes les autres chansons. La seule chose qui fonctionnait pour moi était la mélodie vocale que Pierre chantait sans aucun mot... c'était magnifique.
J'ai suggéré que de l'essayer beaucoup plus lentement et en un rien de temps tout s'est mis en place… Pierre a ensuite écrit quelques mots et c'est devenu le premier single... Radio Talking, une si belle chanson.
[ C’est clairement notre album le plus ambitieux
j’espère qu’il va nous emmener plus loin (Pierre-Vital Gérard) ]
Six albums en presque quinze ans... alors qu'on sait que cela pourrait être beaucoup plus.
Des titres plus enlevés, limite dance floor, avec un petit détour très Talking Heads sur Heavy Dancer, et quelques fantômes de Mark Linkous ou Vic Chesnutt… pour un Santa Cruz nouveau, dont la version 3.0 continue à séduire encore un peu plus, si c'est possible.
C’est même le 7ème si on compte Long gone desire, rectifie Pierre, un album que l’on avait fait juste après le premier. Mais c’est vrai que ce n’était pas un album officiel, il était juste destiné à être vendu à nos concerts. Ça aurait peut-être pu être davantage mais c’est déjà pas mal. Oui, le groupe a pas mal évolué. Nous avons commencé à huit et maintenant nous sommes cinq. Ça change forcément des choses artistiquement. Par contre, le Santa Cruz plus pop d’aujourd’hui a toujours été là, dès le 1er album. Un titre comme I Hate You était déjà très pop, tout comme Flowers For My Friends sur After Supper. Le bilan que j’en ferai c’est que si le groupe existe encore aujourd’hui, malgré toutes les péripéties, c’est qu’il se sent à chaque album un peu meilleur !
... avec un slogan clair... Here & Now... ici et maintenant.
C’est clairement notre album le plus ambitieux, j’espère qu’il va nous emmener plus loin que les précédents, qui nous avaient déjà emmenés un peu plus loin à chaque fois.
* août 2011
** à Carpentras, tenu par Manfred Kovacic qui fut 5 ans clavier et saxophoniste d'Alain Bashung.