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27 déc. ~ Serge Teyssot-Gay / Zone Libre ~ Ep.1/3


l Zone Libre l Kit de Survie l

Depuis les débuts du projet Zone Libre, aucun disque n'aura été innocent. Pourquoi ce Kit de survie (en milieu hostile) serait-il différent ?

Dix ans déjà que Serge Teyssot-Gay et ses compagnons de route mêlent rock et puissance... puissance de la musique et du verbe. Le postulat de base avait été clairement exposé... Faire vibrer la chair, comme l'indiquait un disque instrumental fondateur qui associait l'ex-guitariste de Noir Désir au batteur Cyril Bilbeaud, dont on ne présente plus les faits d'armes (Sloy, Versari, Theo Hakola, ...) et en renfort le guitariste Marc Sens, aperçu au fil des ans aux côtés de Yann Tiersen, Rodolphe Burger, Miossec, Dominique Petitgand, Christine Ott, Jean-Michel Pirès et Charles H. Garabed...

Au fil des albums, l'auberge espagnole de cette Zone en expansion créé la surprise, innove, dérange et bouscule des conventions qui n'en sont pas pour des baroudeurs du son comme Serge et Cyril.

Pour ceux qui arrivent (ou pas) à suivre le foisonnement des projets au menu de l'insaisissable Serge Teyssoy-Gay, une chose est sûre, le guitariste a réussi là où, par exemple, The Edge de U2 s'est contenté d'enfiler des perles... Depuis son premier album solo, Silence Radio, en 1996, le Bordelais d'adoption, résident audonien n'a eu de cesse de renouveler son style de jeu, d'en repousser les frontières.

J'adore jouer. Je joue tout le temps, dit-il simplement. Si je ne joue pas avec quelqu'un, je joue chez moi, sur mon canapé. En fait, je crois que c'est parce que j'ai besoin de faire évoluer mon son, de faire évoluer mon jeu. J'ai besoin de me balader, comme quelqu'un aime marcher tous les jours...

Ça me permet aussi de faire des chouettes rencontres, ponctue Serge, qui, dès le milieu des années 90 ressentait un besoin d'aventure.

[ j'avais pas encore fait remonter ce genre d'influence de Fela ]

À la première écoute de l'album PolyUrbaine de Zone Libre, il vient à l'idée, pour les plus attentifs, que le guitariste a déjà exploré maints univers musicaux, sans parler des ciné-concerts et des créations sonores pour textes, et qu'il a croisé le manche avec d'autres guitares évidemment, mais aussi avec un oud syrien, un biwa japonais, un violoncelle, une contrebasse, ... mais la surprise est une nouvelle fois au rendez-vous avec des rythmiques auxquelles il aurait été difficile d'associer son nom. PolyUrbaine est un album qui flirte intensément avec l'afrobeat, avec les rappers/slammers Mike Ladd et Marc Nammour* pour tenir le(s) micro(s).

Bin ouais, je n'avais pas encore fait remonter ce genre d'influence de Fela, sourit-il. C'est un artiste que j'écoute toujours, et Cyril aussi (..) C'est une big influence pour nous, ajoute Serge, avouant ne pas être pour autant expert en musiques africaines mais pour qui l'afrobeat fait partie de ces influences qui végètent dans un coin du cerveau...

Oui, et puis un jour, elles sortent bien sûr, parce que, je ne sais pas, tu as peur de les appréhender, tu as peur de les faire remonter parce que, des fois, on est cons. Des fois, on est fermés.

À l'époque, les Contes du chaos**, c'était un aspect urbain blanc, musicalement, rappelle-t-il, avec ce côté Martinique, donc black. Mais nous, on est quand même trois blancs, on habite en banlieue et on a une musique qui est très européenne, très blanche, très dark, alors que l'afrobeat existe dans un contexte politique et social hyper sombre et pourtant c'est une musique hyper joyeuse.

Des fois, je me dis qu'on a en fait des réflexions de petits bourgeois blancs... Oh je me suis pété un ongle ! Ça va mal ! .. Quoi ? fait-il mine d'interroger. Des fois, je me dis que ça ne va vraiment pas.

En fait, pour moi, à un moment, c'est aussi lié à un contexte et à une époque. Aujourd'hui, tout le monde est tellement dans la merde que je me vois mal faire une musique dark, parce que je pense qu'il y en a un peu marre ! argumente Serge. Si en plus les gens rentrent chez eux et se foutent dans les oreilles une musique dark... Il y a un moment où moi je ne peux plus en fait. Ce n'est que personnel, mais je sature de ça. J'ai besoin de faire une musique qui soit autre que le bouillon dans lequel on est.

[ on avait besoin de faire évoluer notre musique...

passer des rythmes pairs aux rythmes impairs... travailler à partir de samples ]

Évidement, je ne parle que de ce que je connais. Je peux travailler avec des gens, des auteurs, qui critiquent le monde dans lequel on est avec le verbe, moi par réflexion, par positionnement artistique, je suis forcément en critique du monde marchand, au mieux je propose des choses différentes. Je pense que c'est la seule chose que je puisse faire... proposer des choses... Je ne peux rien faire d'autre, en tant qu'artiste mais je vais pas aller dans un truc qui est dark, parce que le monde est assez compliqué comme ça pour tout le monde... mais ce n'est pas non plus un truc qui est juste guilleret pour être guilleret, il faut que ça ait un vrai sens ! s'exclame-t-il, expliquant ainsi une sorte de mise en abîme entre texte et musique sur les albums PolyUrbaine, et Kit de survie, qui serait, en quelque sorte, la face B du précédent, avec un visuel tout aussi tribal mais littéralement plus enflammé.

Kit de survie reprend ainsi la totalité de Polyurbaine en poussant tous les curseurs... certains dans le sens de l'instrumental, pour laisser vivre la musique, les autres dans l'axe de la vocation du projet et l'état d'esprit de la musique vivante, libérée de ses chaînes, sauvage, brûlante... brûlante comme les cuivres d'Akosh S.*** et de Médéric Colignon... avec un son démultiplié, beaucoup plus massif et organique... avec une forte empreinte live.

C'est vrai ? demande-t-il presque surpris. Bin je pense qu'on a progressé oui, dit-il avec un grand sourire. C'est toujours Martial (de Roffignac) qui mixe. Il y a deux instruments en plus (...) Akosh et Médéric !

Pour PolyUrbaine, j'ai beaucoup répété, alors que je répète quasiment jamais, explique-t-il pour mieux dessiner ce que l'approche afrobeat a demandé comme travail.

Je ne répète plus, c'est rare, confie celui qui depuis quelques années a développé une maîtrise, un repertoire et un langage basés sur l'improvisation. Avec Zone Libre, avec Cyril Bilbeaud, on avait besoin de faire évoluer notre musique, passer des rythmes pairs aux rythmes impairs, travailler à partir de samples... parce qu'on ne travaillait jamais comme ça avant.

Donc ça voulait dire que Cyril avait les samples et il fallait qu'il joue avec. On s'était dit Il faut qu'on oublie les samples pour que ce soit intéressant... Et donc le travail de batterie de Cyril est juste monstrueux parce qu'il faut qu'il change tout le temps ce qu'il est en train de faire, en permanence ! On a dû répéter pour ça. On a bossé en studio rien que tous les deux... Il faut qu'il fasse vivre sa batterie comme pour faire oublier le sample qu'il y a autour, faire oublier qu'il y a une guitare en sample. C'est génial ! Il y arrive très bien ! conclue-t-il. Il avait un boulot monstrueux à faire Cyril.

Une fois que ça a tenu la route, on s'est dit... On peut enregistrer les voix. Elles viendront dessus, c'est pas un souci !

[ Je n'avais pas envie (...) de faire la même chose qu'en live et que sur disque ]

Après, c'est enregistré dans les conditions du live c'est vrai, poursuit-il, Polyurbaine ayant été mis en boîte dans les murs du Canal 93, à Bobigny, et du Studio Campus, à Paris. On a joué tout le temps qu'on enregistrait, on a fait des edits de versions, expliquant que l'idée n'était pas de garder les versions de bout en bout. C'est du patchwork ! résume-t-il au sujet de deux albums finalement gémellaires.

Sur le Kit de survie, les morceaux qui sont sans les voix sont les mêmes enregistrements guitare-batterie que pour PolyUrbaine, donc ce sont juste des edits que j'ai faits après... Et les vents sont enregistrés évidemment séparément, mais par contre, sur les cinq premiers morceaux de Kit de survie, en sextet donc, les voix sont des prises live d'un concert à Avignon où il y avait un multipistes qui tournait.

Après, la prod a évolué... mon ingé son me disait Ça sonne mieux, et comme je n'ai pas réécouté PolyUrbaine, je ne me rends pas compte, avoue Serge, qui, fidèle à l'hyperactif qu'il est, a déjà mis en boîte d'autres projets, comme la pièce musicale Debout dans les cordages, avec les mêmes Cyril Bilbeaud et Marc Nammour, sur un texte d'Aimé Césaire, en plus d'un disque fraîchement enregistré dans le nord de la Chine avec le guitariste Xie Yugang.

Je n'avais pas envie sur le Kit de survie de faire la même chose qu'en live et que sur disque.

Ça me plaît parce qu'on joue tous les morceaux en sextet en live mais je propose un disque où la moitié est en sextet, et l'autre moitié en quartet... donc sans les voix. Je trouvais ça intéressant pour les gens qui auraient acheté Polyurbaine... s'ils achètent Kit de Survie, ils ont une partie du Kit de survie sur scène, et autre chose... un Zone libre avec des vents...

C'est un peu fanstasque, admet-il sourire aux lèvres. J'aime bien cet aspect-là !

Objectif atteint, puisque les titres doublent de volume, au propre comme au figuré, et s'imprègnent un peu plus de la fièvre de l'afrobeat, autant pour les titres tirés du live avec les décidément impressionnants Marc Nammour et Mike Ladd... que pour les versions instrumentales, qui en sortent métamorphosées, comme le somptueux quart d'heure de Garde-Fou, qui dans sa version PolyUrbaine venait tel le vent du désert jouer la petite brise apaisante soufflant sur le brasier.

Des histoires d'osmoses qui transforment les associations de musiciens en groupes mais dont la notoriété est parfois en-dessous de ce que le projet mériterait...

Des fois tu ne sais pas pourquoi les groupes marchent à ce point-là, admet Serge.

Pour Noir Dez, quand j'étais ado, on était tellement mauvais qu'on avait besoin de jouer tout le temps tout le temps pour que ça tienne la route notre truc... au bout du compte tu ne sais plus qui fait quoi et du coup tu entends le son d'un groupe... Bien sûr, il y a un truc informel... ou t'es dans l'air du temps, si on peut dire, ou t'as les moyens d'être poussé et t'as les moyens d'être mis en avant pour que les gens t'écoutent... Et du coup, tu rentres en rotation sur les radios -enfin ça c'était il y a 20 ans-, donc les gens écoutent ta musique de plus en plus, tu vends des disques et ils vont en concert... énumère Serge, qui, comme il le disait, reste en tout cas fervent critique du monde marchand, lui qui a connu le sérail des grandes maisons de disques, qu'il ne regrette pas un instant, lui qui a lancé sa propre structure de label pour héberger ses projets en toute indépendance... Intervalle Triton.

[ Je me suis expliqué (...) sur ma position...

pourquoi il n'y a aucun disque de mon label sur les plate-formes ]

Ainsi, sciemment, en connaissance de cause, depuis l'Angle mort, pour ce qui est de Zone Libre, et depuis Interzone, deuxième jour, les disques existent en physique, auprès des disquaires et sur quelques plates-formes dématérialisées dûment choisies.

Oui c'est des voleurs ! lâche-t-il. Le fric est partagé entre les plate-formes et les producteurs, et donc principalement les énormes producteurs, comme Universal, qui se font du fric avec ce qu'ils appellent la longue traîne, c'est-à-dire les millions d'artistes qu'ils ont signé et qui génèrent très très peu d'argent... mais comme ils sont des millions, ils génèrent énormément d'argent !

Ces artistes-là ne voient jamais l'ombre d'un centime parce qu'ils ne génèrent pas assez d'argent pour être rémunérés, dit-il en référence aux dettes liées aux rares avances parfois encore versées à la signature des contrats et par rapport aux coûts liés à la réalisation d'un disque. Et quand bien même s'ils n'ont pas de dettes... tu génères tellement peu d'argent que du coup tu n'es même pas payé, mais par contre (…) tout l'argent de la pub et tout l'argent qui est généré ne va que dans la poche des mêmes personnes, ajoute-t-il au sujet de ce que d'autres appellent des économies d'échelle, ce système qui repose sur la réduction des prix à la base mais pour un plus grand chiffre d'affaires rapporté à de plus grands volumes de ventes.

Je connais leur fonctionnement relativement bien. J'y ai été pendant longtemps, explique Serge, citant l'exemple de l'argument qui lui fut donné par la passé quant aux possibilités offertes par le streaming à l'échelle mondiale, et la possibilité d'être connu dans des pays difficilement atteignables par les circuits de promotion classiques.

Je m'en fous d'être connu (...) en Amérique du Sud, répondit-il. Moi, ce n'est pas d'être connu qui m'intéresse, c'est que les gens écoute ma musique alors que pour eux (plate-forme et gros producteurs, NDR), le streaming n'est qu'un produit d'appel pour l'achat d'autre chose.

Ce qui est ouf, s'insurge-t-il, c'est que ça fait dix ans que je parle de ça. J'ai rencontré des journalistes à qui j'en ai vachement parlé. Je me suis expliqué là-dessus, sur ma position, pourquoi il n'y a aucun disque de mon label sur les plate-formes... enfin bref... ils ne relayent jamais ça... constate Serge, qui s'élève contre les accusations, telles qu'il en a entendues parfois, de ringardise des artistes qui seraient contre le streaming...

Moi dans l'idée le streaming, je trouve ça génial. L'idée est géniale. Seulement, c'est la façon dont c'est fait qui n'est pas bonne... dit-il, faisant le parallèle avec ce système de rémunération qui, s'il était appliqué à la presse, reviendrait à établir le salaire d'un journaliste sur le nombre de gens qui liraient entièrement son article... Il faudrait 20.000.000 de lecteurs pour avoir dix euros, résume-t-il.

Quoiqu'il en soit, la passion, l'indépendance, la curiosité et l'envie de musique qui animent Serge Teyssot-Gay continuent à livrer de belles pages de musiques écrites avec les mots de feu d'auteurs à la langue libérée et de musiciens enflammés avec qui la passion subsiste. Le meilleur Kit de survie qui soit.

** (2011 avec Casey et B. James)

*** Akosh Szelevényi

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