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13 déc. ~ Julien Gasc ~


l Julien Gasc l Kiss me, You Fool ! l

Aurais-je pensé un jour entamer l'interview d'un artiste par quelque chose d'aussi incongru que de lui avouer que je ne comprend rien à sa musique et que je ne peux donc pas avoir d'avis sur son disque. Impossible de dire que je n'aime pas puisque mes oreilles ont beau entendre ce qu'i la proposer mon cerveau reste interdit face à l'information qu'il reçoit.

Le pire c'est que ce n'est pas un cas isolé. À la première écoute, de Kiss Me, You Fool ! de Julien Gasc, comme lors de la première écoute des disques d'Aquaserge dont il est une des têtes pensantes... c'est le grand saut dans le vide. Les instruments sont là, ils en jouent, leur partitions respectives sont clairement audibles mais c'est une tempête sous un crâne, des impressions qui tournent en rond entre deux oreilles sans trouver la sortie du labyrinthe de la compréhension.

La découverte musicale est un jeu, pas une science infuse, un grand puzzle auquel il manque parfois des pièces, un escalier dont il n'est pas souhaitable de rater une marche... pour avoir une vue d'ensemble, ou aller d'un point A à un point B, il y a ce rituel de passer par toutes les petites étapes de l'éducation d'une oreille et du cerveau qui y est attaché pour pouvoir profiter pleinement de ce que l'artiste a voulu exprimer.

L'exercice de la critique musicale ne saurait se limiter à une simple équation dont le résultat est 0 ou 1, sauf à satisfaire que ce que l'on aime n'est rien d'autre qu'une zone de confort et que ce que l'on juge mauvais est peut-être juste quelque chose que l'on ne comprend pas. Oui, d'accord certaines fois, c'est juste vraiment pas intéressant, mauvais quoi, avec l'impossibilité de donner même un point pour l'effort fait.

Il faut donc parfois se forcer un peu à faire plusieurs écoutes, histoire de démêler le tout et comprendre la source de l'incompréhension.

[ Certaines musiques nécessitent que nous nous immergions en elles ]

Le plus simple est aussi donc de (se) poser la question tout simplement.

Candide. Pourquoi est-ce que je ne comprend pas d'après toi ?

[ Julien Gasc ]. Et bien il y a quelques groupes que je n’avais pas compris ou aimé dès la première écoute. Certaines musiques nécessitent que nous nous immergions en elles. Ensuite nous avons beaucoup d’a priori, de jugements de valeur, les audiophiles et les collectionneurs de musique sont les personnes les plus snobinardes.

Il n’y a pas de recette véritable. Chaque musique, chaque groupe à une histoire unique avec le sujet qui l’écoute. On ne comprend pas l’autre et sa musique tant qu’on ne fait pas l’effort de compulser sa discographie

Le processus classique de la découverte musicale se fait via la discothèque de ses parents ou grands frères et soeurs, la radio à une certaine époque, puis celle que l'on se forge au contact des gens avec qui on grandit. Mais qu'est-ce qui donc a bien pu nourrir Julien Gasc ?

[ Julien Gasc ]. J’ai eu la chance d’avoir accès à la discothèque très tôt chez mes parents.

Il y avait de la musique baroque, classique, romantique, du jazz, du rock, du prog, de la pop. Ce sont clairement les Beatles, les Who, Roxy Music, Bowie qui m’ont donné envie de faire de l’enregistrement studio et des concerts, je voulais faire ce job.

Ensuite avec la vague grunge tout ce que je pensais n’a fait que se confirmer, merci à Nirvana, The Breeders, ...

Au lycée, j’étais en classe de musicologie, on a beaucoup analysé et décortiqué des oeuvres.

Le programme commençait avec Bach et se terminait avec Reich, Glass et Riley.

Pouvoir voir des concerts très jeune m’a aussi permis de comprendre ce qu’était la diffusion sonore dans un espace clos où en plein air. Mon premier concert rock fût ZZ Top en 1991 pour le Recycler Tour.

[ C’est un disque qui a été composé sur le pouce ]

Sans oser imaginer une seule seconde qu'il en ait tiré ou élaboré une recette, l'écoute de Kiss Me, You Fool ! laisse filtrer un large éventail de tout ça. Mais, qu'y met-il donc, lui, dans sa musique ?... sachant que souvent ce que l'artiste y met et ce que l'auditeur y entend sont parfois deux choses bien différentes. Il est donc logique de s'interroger sur un processus qui débouche mine de rien sur des compositions relativement touffues et luxuriantes... qui assaillent les sens, ou à défaut, demandent un petit effort de concentration pour en capter certains aspects avec une forte inclinaison pour une pop complexe (ou pas) diaphane psychédélique à tendance cinématographique.

[ Julien Gasc ]. Le dernier disque a été composé et arrangé à la volée. C’est un disque qui a été composé sur le pouce. Je suis rentré en studio avec deux chansons et demie. Kiss Me, You Fool ! a été composé comme une bande originale de film. Il n’y avait pas de voix.

Les mélodies et les textes sont venus quelques mois après. Je suis rentré chez moi dans le 93 et j’ai passé quelques jours au lit à gratter les textes et à trouver la voix des mélodies. Tout cela pour dire que les instrumentaux de l’album étaient beaucoup plus luxuriants...

Et dans cette jungle sonore, j’ai dû écouter des tonnes de fois avant de trouver la voix des mélodies dans chaque chanson chantée. Trouver la troisième voix dans les prémixes...

C’est fou car les mixes instrumentaux font ressortir des mélodies quasi subliminales. On n’a juste qu’à les entendre et à les révéler par le chant.

Au-delà de tes disques solos et d'Aquaserge, tu as joué avec Stereolab, Laetitia Sadier, April March, Bertrand Burgalat, Philippe Katerine, Hyperclean, Holden, Momotte, Chassol, Marker Starling... es-tu la somme de ces influences-là et des leurs ? Ce qui commencerait à faire de sacrés croisements ADN...

[ Julien Gasc ]. Lorsque je jouais dans Hyperclean et dans Momotte. Je me suis dit qu’il fallait absolument collaborer avec les gens dont j’aimais la musique. Ce fût chose faite avec Katerine, Burgalat, Laetitia Sadier et Tim Gane.

Je me disais qu’il fallait apprendre de nos maîtres. Ce sont eux qui m’ont appris le métier, qui m’ont appris à me perfectionner. Laetitia m’a clairement appris que faire en tournée. Elle m’a formé.

Ce qui est intéressant, c’est que l’on reconnaît les gens de sa scène, les personnes citées font partie de la même famille musicale que notre clique avec Aquaserge. C’est important d’ouvrir les portes, de s’ouvrir et de reconnaître ses maîtres, grands et petits frères et de garder un témoignage sonore de l’époque que nous vivons... Et de faire des créations, des productions, des collaborations ensemble afin d’avancer et de passer dans de nouvelles périodes esthétiques, se remettre en question.

[ Avec Aquaserge car comme nous fonctionnons comme un sénat musical ]

Que recherches-tu avec tes disques solos que tu ne trouves pas ou ne mets pas dans ceux d'Aquaserge, souvent qualifié de prog, et par extension que t'apporte la participation et la production sur les disques d'autres artistes comme Lenparrot, Monade, ... et d'autres à venir.

[ Julien Gasc ]. Avec Aquaserge, c’est vrai qu’on fait du prog. Des disques alambiqués. Mais on n’est pas seulement prog, on a été rattaché au mouvement Rock In Opposition. Il existe mais les fans de RIO ne jurent que par trois, quatre, cinq groupes... Henry Cow, Art Bears, Present, Univers Zéro, Magma, Gong, Faust, Slapp Happy... C’est même une blague !

Le public de la scène prog est super snob. Aquaserge est beaucoup trop pop pour eux ! On n’a jamais été accepté par les festivaliers du Rock In Opposition, par les “purs” (rires), les cathares du prog.

Mais ils sont marrants. La blague, c’est que Dagmar Krause a demandé au public lors du concert de Slapp Happy au festival cette année... Si leur musique était réglementaire niveau prog ! Heureusement que les artistes sur scène ont de l’humour. Comme je te dis le public “prog” est assez fermé pour l’avoir vu dans des festivals en France et en Allemagne. Aquaserge est nulle part. Aquaserge est ailleurs.

Mes disques me permettent de révéler mes sentiments. Je peux chanter de la guimauve. Ça me plaît !

Ce serait difficile avec Aquaserge car comme nous fonctionnons comme un sénat musical, chaque note, chaque mot doit être pesé, chaque blague doit faire rire autrui. Il faut faire des concessions et c’est une règle importante dans le travail diplomatique de groupe. C’est la Base.

Mon projet solo a commencé car j’avais des chutes sur l’album À l’amitié.

J’ai joué deux chartes d’accords à Benjamin Glibert et Julien Barbagallo, ils m’ont dit que c’était trop dans la veine de l’album que nous venions de faire avec April March. Benjamin m’a dit Tu n’as qu’à les enregistrer et commencer un projet solo ! Voilà Comment ça a commencé.

(La production pour les autres)... Ça me fait des vacances et j’adore ça ! Amener un projet ailleurs... Amener la personne qui chante ailleurs... Et elle aussi m’amènera ailleurs.

C’est un super cadeau de pouvoir aider les autres sur leurs disques. C’est un métier qui nécessite de la poigne, de la diplomatie et surtout, il ne faut jamais oublier de rester naturel et spontané.

[ La voix est tout. Elle est l’instrument. Le message...

Parfois, il faut faire un peu de ménage, quitte à sacrifier deux, trois pistes d’instruments ]

Naturel, spontané, mélodies subliminales, jungle sonore... La musique une expérience sensorielle avant tout ? La voix, plus un instrument qu'un véhicule porteur de messages ou d'histoires ?

[ Julien Gasc ]. La musique ne m’apparaît pas toujours telle quelle. Quand je me couche le soir, j’entends des musiques divines que je ne pourrai recréer.

Lorsque je compose en général je travaille d’abord sur l’harmonie. Mon premier instrument est le piano et je compose à 80 pour cent avec. Il me permet aussi de trouver des lignes de basse, des riffs, des leitmotivs, des gimmicks, des thèmes... Cela fait des années que je produis des morceaux instrumentaux où la voix prend sa place à la toute fin du processus.

Il va falloir peut-être changer de méthode pour la suite, s'interroge-t-il.

La voix est tout. Elle est l’instrument. Le message. Elle est la grâce. La cerise sur le mix. Elle est tout.

Et d’ailleurs pour continuer sur les mixes, elle prend beaucoup de place en terme de spectre. Parfois, il faut faire un peu de ménage, quitte à sacrifier deux, trois pistes d’instruments pour qu’elle ressorte bien.

Certaines personnes n’aiment pas mixer la voix devant, ils la cachent, ils mutent, la matent, la cachent derrière un buisson de guitare, claviers, basse, batterie. Moi, je ne cache pas que je n’ai pas répété mes parties à la perfection avant d’appuyer sur le bouton record. Je mets en avant la voix avec toutes ses aspérités, sa vigueur, sa force mais aussi ses faiblesses.

Comment oser du coup exprimer le fait d'être interloqué par des paroles qui narrent un fait divers, s'interrogent sur les effets d'un antidépresseur, dressent le portrait de l'homme qui a donné leurs noms aux nuages ? De la même manière, en posant simplement la question.

[ Julien Gasc ]. J’essaye de trouver la bonne recette pour chaque titre, la bonne formule, le texte et la mélodie qui iront bien avec la musique. On peut chanter n’importe quoi, peu importe le sens que chacun y trouve, l’important c’est que la chanson soit belle et qu’on l’aime.

Parmi son nouvel étalage de chansons, certaines intriguent plus que d'autre... comme cet étrange Pages anonymes, avec superposition et différentiel de vitesses entre la pulsation de la ligne de basse, une voix en retard et l'entrée en matière de couches de guitares et de synthés qui exprime, dit-il... que la vie va trop vite ! Qu’il ne faut pas essayer de l’accélérer !

[ Julien Gasc ]. On est une génération de stressos. Et je veux juste dire à mes auditeurs qu’il faut rester calmes et patients quand tout nous tire vers le burn out.

Mais sur d'autres titres la sensation est juste pop, légère, immédiate... comme sur Pas, tandis qu'il livre en fin d'album la clef de la compréhension... comme le chant entêtant du souffle du vent... en mode quasi kraut rock.

[ Julien Gasc ]. J’aime le vent. Ça fait référence au chant de la terre (...) et aux acouphènes en interne (rires).

Ça fait référence au chant primaire. Le premier c’est celui du vent. Il y a aussi ceux des orages, des flots, de la lave, des tremblements de terre !

[ Je l’aime mais il me pétrifie ce public ]

Une belle illustration de cette sensation paradoxale au contact des artistes d'être invité à partager l'acte extraverti d'une personne introvertie (ou égocentrée).

(La musique)... Je la fais avant tout pour moi puis pour mes proches et tous les autres. J’ai choisi très tôt mon medium. Je savais ce que je voulais faire quand j’étais gosse... Faire des chansons.

On nous croit très égocentrés. Moi, je me sens timide, la manière de partager le fond de ma pensée passe par faire des chansons et les jouer sur scène, confesse Julien qui avoue être encore très timide sur scène (...) même si je n’en ai pas l’air.

Je suis introverti et à la fois dans la vie intime, j’adore passer du temps avec les gens. Sur scène, on devient des bêtes de foire et certains soir les concerts tournent à une espèce de mascarade, certains soirs sonnent faux alors que d’autres sont sublimes. En tout cas, j’ai toujours un peu d’appréhension avec les auditeurs en live.

Certains soirs je ne sais pas comment m’en sortir avec le public. Je l’aime mais il me pétrifie ce public.

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