03 oct. ~ La Féline ~
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Le félin est de nature patiente et douce autant qu'il peut libérer le cas échéant l'animal et donner quelques coups de griffes. Un joli résumé de ce qu'est devenu avec le temps l'univers de La Féline.
Au-delà du personnage, et de la référence déclarée au film de Jacques Tourneur, Agnès Gayraud a emprunté un parcours empreint lui aussi de doutes, de résistance, et de transmutation qui l'ont amenée à ce Triomphe... un disque de la Féline éclatant, généreux, aux senteurs qui dépassent le stade de simple pop à la française et qui se refuse à l'étiquette de chanson française.
Comment résumer le chemin parcouru depuis 2009, qui puise à la source d'un mélange de textes en français et en anglais posés sur des ambiances morriconiennes (La Passeggiata), ou sixties (Mystery Train), pour en arriver à proposer sur ce disque des titres qui papillonnent autour de mélodies plus électronisées et synthétiques.
Difficile à résumer. Ce qui est intéressant, peut-être, c'est ce qui ne résume pas : les chansons, à écouter, la musique qui reste, fait valoir Agnès. J'ai le sentiment d'une sorte d'aventure, assez personnelle. Je crois que certaines choses ne changent pas, que j'ai toujours eu une espèce de facilité pour les mélodies mais que je maitrise sans doute mieux aujourd'hui certaines choses, mon chant, mon son, notamment.
Aussi, j'ai beaucoup appris à suivre ma vision, sans trop laisser parler les autres. Ça, c'est une chose qui m'a pris du temps... m'écouter vraiment.
[ Pour moi, Adieu l'enfance est vraiment le premier disque...
que j'ai réellement conçu comme album ]
Une aventure musicale et intérieure, inhérente à l'artiste méticuleuse et perfectionniste qu'elle est et qui considère n'avoir produit réellement que deux long formats à ce jour.
Je ne dirais pas que c'est un troisième album, encore moins un 4ème, tranche Agnès. Pour moi, Adieu l'enfance est vraiment le premier disque que j'ai réellement conçu comme album. Wolf & Wheel, c'était des chansons -que je ne renie pas du tout, au contraire- (...) des essais dans plusieurs directions.
Echo, c'est vraiment un EP (...) Pour moi, ce n'est pas que du discours promotionnel, ces distinctions entre EP et album... c'est presque un genre d'objet artistique différent. L'EP dans mon esprit, c'est pour essayer, tenter des choses ; l'album, c'est différent... tu as traversé le miroir, tu ne peux plus seulement essayer, tu plonges, et c'est tout ! ce sont des partis pris sans option de sortie. C'est l'univers dans lequel tu vis à un moment donné.
Auteur et compositrice, elle arrive surtout avec ce disque à poser une voix et des textes comme le feraient un certain nombre de groupes anglo-saxons, chose qui fut rare, surtout pour des artistes francophones, avec une maîtrise acquise au gré des rencontres, et notamment par le travail avec son camarade de jeu de longue date Xavier Thiry.
J'ai toujours écrit et composé les chansons de la Féline, amené la base, la vision, et puis on arrangeait ensemble, explique-t-elle.
C'est moi qui compose toutes mes parties de guitare, un peu la basse. Je chantonne des trucs à Xavier pour les parties de synthé et les rythmiques. Il est très doué, et on se connaît parfaitement. Ça produit une sorte de symbiose créative qui me semble amener les chansons plus loin que si je travaillais toute seule. Mais pour les chansons d'Echo par exemple, j'étais seule. Domotic a réalisé.
[ Je suis très fan du jeu de guitare de Robert Smith...
Ça et les très grosses saturations presque doom à la Stephen O'Malley ]
Les profils présentés au fil du temps et des enregistrements témoignent avec le recul d'une détermination dans la recherche et le travail du son, allant même jusqu'à explorzer un côté un peu new wave avec Midnight sur Adieu l'Enfance, mais aussi des musiques plus hydriques, africaines et baroques, sur Triomphe, aux harmonies riche, sur plusieurs étages, avec un recours au saxo, à la flûte, l'octobasse, etc...
Le riff de Midnight est de moi, puisque je compose la base des chansons. J'avais ma guitare et une rythmique de petit jeu vidéo de Nintendo DS, se souvient-elle, et ce mouvement est né avec.
Je suis très fan du jeu de guitare de Robert Smith, depuis toute petite. Ça et les très grosses saturations presque doom à la Stephen O'Malley*, c'est ce qui me plaît le plus en son de guitare. Les soli de Neil Young aussi, sales, obstinés, c'est extrêmement expressif.
On a nous-mêmes senti avec Xavier que l'on passait un cap sur Triomphe. On a vraiment peaufiné les textures à un degré de subtilité particulier. Xavier, notamment, qui était aux manettes de la réalisation, a fait un travail admirable, il me semble.
Un travail de textures et de compositions qui flirte avec les ambiances Blonde Redhead, parfois. Un parallèle qui témoigne de l'approche pop, moderne, intelligente et chatoyante, qui fait écho au choix de travailler à nouveau avec Stéphane Alf Briat.
Stéphane Briat, dit Alf, est quelqu'un avec qui j'adore travailler, confie-t-elle. Et j'aime ce sentiment de fidélité, ça donne aussi sa valeur à cette aventure personnelle dont je parlais toute à l'heure, et à l'œuvre que j'essaie de construire.
Une collaboration des plus logiques après l'entrée dans l'histoire de Marc Collin** et son label Kwaidan.
Chose appréciable, Marc (Collin) est très libéral et convaincu de mon travail. J'ai toujours fait ce que je souhaitais faire artistiquement, sans que me soient imposées de concessions (...) C'est son label, Kwaidan Records qui a sorti Triomphe (...) ça change quand même tout d'avoir un label, des gens qui gèrent un tas de choses à votre place et me permettent de rester concentrée sur la musique.
[ sur scène, je retrouve ce sentiment triomphal, une espèce de joie pure...
de faire de la musique, de jouer avec d'autres, fort et longtemps ]
Du coup, en matière discographique, le terme de Triomphe... se voulait-il une simple affirmation, un objectif ou une sorte de recherche d'une prophétie autoréalisatrice ?
Ah ah, j'ai passé des dizaines d'interviews à expliquer que ça venait des processions de Bacchantes dans l'Antiquité, parce que je voulais que ce soit un disque extatique, débridé... en opposition avec le côté plus contrôlé, plus pop, d'Adieu l'enfance, un disque bleu, alors que j'ai tout de suite vu Triomphe avec la couleur or, sourit Agnès.
Pour la prophétie autoréalisatrice, tout dépend ce que tu considères comme un triomphe. Si c'est faire 200 dates de tournée et passer sur TF1, ce n'est pas ce que j'ai obtenu avec les moyens que j'ai eus, qui ne sont pas ceux qu'on investit sur les artistes qui font 200 dates de tournée et de passent sur TF1. Mais à l'échelle du disque, et surtout au moment de le faire, et au moment de le jouer sur scène, je retrouve ce sentiment triomphal, une espèce de joie pure dans le fait de faire de la musique, de jouer avec d'autres, fort et longtemps. Si tu écoutes bien Triomphe, je crois que ça se sent.
Ce qui se sent surtout, c'est que Triomphe est l'album d'une artiste décomplexée et libérée, en pleine possession de ses moyens et en mesure de donner corps à sa musique comme elle l'entend.
j'ai une façon de chanter bien à moi maintenant, qui évolue, mais tout se passe comme si j'avais eu besoin de mûrir mon idiosyncrasie... qu'il avait fallu un peu de temps mais que maintenant j'avais cette manière, qui m'est la plus naturelle, même si elle n'est pas arrivée en premier ou s'il y a eu des détours.
Après, je crois qu'une voix est faite pour jouer avec, explorer, ajoute Agnès. J'ai toujours adoré l'idée que Dylan a un jour décidé de changer totalement de voix sur Nashville Skyline, en 1969, alors que tout le monde s'était habitué à sa voix nasillarde. Il fallait une bonne dose d'audace ou de désinvolture totale pour tenter ça.
[ pour moi, chaque chanson est un petit royaume ]
À l'heure où elle se prépare à donner suite à son Triomphe, les différentes inspirations et références qu'elle cite montrent qu'il ne faut pas attendre d'elle de se laisser aller à une quelconque facilité ou recette pro bis repetita.
Je n'ai jamais aimé l'idée de faire deux fois la même chanson. C'est probablement ce qui m'a rendue difficile à caser au départ en maisons de disque. Mais pour moi, chaque chanson est un petit royaume.
Disons qu'avec Adieu l'enfance et Triomphe, j'ai eu l'impression de pouvoir agencer tous ces petits royaumes les uns par rapport aux autres dans un tout, une vision du monde, et un son. Cela dit, les compositions restent très différentes, mais unies par cette vision.
Je suis heureuse dans ce genre d'équilibre un peu déséquilibré. Mais faire dix fois la même chanson -sachant que une seule en serait l'essence et que les autres n'en seraient que des resucées -, je crois que je n'en suis même pas capable. Quel intérêt de faire une sous-Adieu l'enfance ?... C''est bon c'est fait, j'ai tout mis dedans !... Pareil pour Senga ou Trophée...
Et comme il n'y a rien de mieux pour se renouveler que de confronter son art à celui des autres... c'est par la diversité des collaborations qu'elle teste aujourd'hui les limites de son univers, loin de l'époque Wolf & Wheel.
J'ai fait tout un petit disque avec des élèves de quatrième, qui est sorti à la rentrée. C'était un projet avec Ricky Hollywood et Maud Octallin, en lien avec la Souterraine. Le disque s'appelle La Souterraine et les Mineurs, et on a fait un chouette taf. Zéro presse par contre, donc c'est bien confidentiel.
Un film***, qui a été tourné pendant les enregistrements, va être diffusé dans plusieurs festival cette année, notamment durant le FAME à la Gaîté Lyrique. J'avais écrit un petit post sur cette aventure sur mon blog. Avant un nouvel EP de La Féline, attendu mi-novembre, qui s'appellera Royaume...
C'est un EP de collaborations, avec deux artistes que j'admire beaucoup, Laetitia Sadier**** d'un côté et Mondkopf de l'autre, souligne-t-elle. Ce sont des sessions que j'ai enregistrées avec chacun d'eux au Studio Redbull. Ce sont deux artistes qui m'inspirent des choses très différentes, mais d'une certaine manière, les deux univers peuvent se rejoindre, et c'est ce que les quatre titres de cet EP tendent à démontrer ! Il va sortir juste avant la dernière grosse date parisienne autour de Triomphe, à la Boule Noire le 29 novembre. Laetitia sera là. J'ai hâte !
... Et puis, je vais enchaîner quelques dates, dont certaines me réjouissent spécialement, jouer en première partie de Rodolphe Burger à Metz le 1er décembre, jouer à Londres le 6, à Bruxelles le 13 !
* de Sunn O)))** musicien, compositeur et producteur connu pour être l'instigateur du projet Nouvelle Vague
*** de Stereolab
**** dont le titre est Je suis heureux quand je chante