17 jui. ~ Nicolas Jules ~
l Nicolas Jules l Crève-Silence l
Là, je vais vers quelque chose qui correspond de mieux en mieux à ce que je suis, résume Nicolas Jules, qui parle de ce Crève-Silence comme d'un disque marquant la fin d'une période de chanteur et qui annonce une suite qui sera encore différente.
Ce résumé à brûle pourpoint, après un quart de siècle d'un parcours, fait se demander pourquoi il aura autant insisté dans la même voix/voie, autant de temps...
Une question que n'importe quel artiste pourrait poser au critique qui démonte un disque ou, pire, l'ignore.
Pourquoi écoute-t-on, pourquoi n'écoute-t-on pas ? La pochette certes, mais tant d'autres éléments extérieurs, jusqu'à la personne qui vous le conseille... Parce que l'heure et le jour où l'on écoute pour la première fois un disque a une influence marquante sur la perception que l'on en a, parce que tout le monde vieillit, même les plus jeunes, même les imbéciles qui finissent par changer d'avis sans se l'avouer, et parce que les artistes évoluent aussi avec l'âge et que le meilleur reste souvent à venir.
J'ai toujours suivi, à distance, mais avec intérêt, la carrière de Nicolas Jules et pour autant que j'apprécie Higelin, quelque chose s'en démarque définitivement ! Quelque chose a radicalement changé avec ce Crève-Silence... jusqu'à ce final neigeux et gainsbourien pour un résultat moins théâtral, juste beau, sombre, noir presque.
Voix posée, profonde, guitares mélangeant cajun, sixties,... soutenues par des percussions sourdes et puissantes. Nicolas Jules offre à entendre un disque de rupture, lent, contemplatif, généreux...
Oui, si on ressent une rupture, c'est parce que le disque est effectivement né d'une rupture, peut-être que ça se sent. Il est plus lent parfois peut-être, pas toujours, raconte Nicolas.
J'avais envie d'aller plus loin aussi. J'essaie de plus en plus de coller avec ce que je suis et avec la musique que j'écoute.
Paradoxalement, j'écoute assez peu de chanson francophone en fait, dit-il.
C'est sûr, j'ai plus écouté Tom Waits que Bénabar, le Velvet plus que les Pixies, ajoute-t-il, avouant une admiration pour des artistes tels que Jonathan Richman, Daniel Johnston et Bill Childish, pour une question de sincérité, lui qui semble avoir toujours privilégier la scène.
Pas désabusé pour deux sous, ça fait officiellement 26 ans qu'il monte sur scène, voire plus encore, et il apparaît comme un de ces personnages nés pour ça... sa biographie officielle ne disant pas autre chose, même s'il aligne depuis toujours en parallèle les disques.
Le disque et la scène ne font qu'un. Mais, oui j'ai cet intérêt pour l'objet. Je fais des disques mais surtout je fais les chose pour la sincérité... Je n'aime pas les choses trop lissées, j'aime les choses brutes, j'aime pas trop le vernis.
J'essaie de faire des objets un peu bruts, que l'arrangement reste le plus minimal possible, dit-il en ajoutant n'être pas du genre à aller rajouter des cordes juste pour faire beau...
Je cherche à toucher l'essence. C'est pareil pour les mots, je ne fais pas de textes de chansons très longs, j'essaie de faire très peu de détours, de faire des choses très directes.
Avec ce Crève-Silence, en forme de Crève-Coeur* aussi, Nicolas Jules atteint son objectif de métamorphose, avec un beau mélange des univers qui l'habitent depuis longtemps et qu'il arrive, enfin aujourd'hui, admet-il, à concilier, promettant de la continuité autant que de la constance dans le changement..
Je ne sais pas pourquoi mais j'aime des sortes de blues très anciens, très africains, assez vénéneux.
Je vais de plus en plus vers des choses plus radicales, entre deux mondes, comme une balise qui dit bonjour à quelque chose de nouveau et au revoir à quelque chose d'autre...
Le français, c'est ma langue, et je n'ai pas du tout envie d'écrire dans une autre langue, surtout que j'en maîtrise pas d'autre. À moins d'être bilingue et trilingue, il faut raconter des choses, il faut maitriser la langue.Je serais ravi d'écrire en espagnol... Mais je le parle pas.Y a des gens qui chantent en francais et qui ont marqué les choses, comme Rodolphe Burger, Fred Poulet, ... qui ont réussi à s'affranchir.
Après, il faut du temps parce que c'est compliqué de s'affranchir d'un milieu dans lequel on est depuis longtemps, de s'affranchir des gens avec qui on travaille, confesse-t-il par rapport au milieu de la chanson.
Il y a eu des fois où on était en désaccord. J'ai dû souvent pousser dans des directions sans succès... avec le temps, je m'affirme un peu plus...
Je vois comment je fonctionne. Je vais de plus en plus vite. J'ai plus cette petite expérience qui permet de moins réfléchir et de me lâcher... choisir un ampli, un réglage de guitare,… La difficulté, c'est d'avoir ce moment d'abandon...
Pour une chanson réussie, il faut savoir quitter l'intellect et les laisser le corps parler. Quand le micro est branché, il faut du lâcher-prise, pas trop réfléchir... Les premières prises ne sont pas les meilleurs mais il y a souvent l'intention qui est là.
Toujours en autoproduction la plus totale, sans aide, il finance lui-même ses disques avec ses concerts, avec un distributeur, un choix comme une contrainte qui illustre la liberté que ça peut apporter à des artistes comme lui, comme Mendelson et tant d'autres...
J'ai toujours été ce qu'on appelle un indépendant, je me radicalise de plus en plus, je ne fais pas des disques pour passer à la radio – je ne me plaindrai pas bien sûr -, mais je veux créer des trucs singuliers. Je veux avoir le temps de créer une œuvre, même si c'est avec e minuscule. Parce que de toute façon, un album ne me suffit pour dire ce que j'ai à dire. C'est pour ça que j'en fais régulièrement, je n'ai jamais eu aucune ambition commerciale, jamais.
Pour preuve, il avoue déjà être en train d'enregistrer un autre disque sous le nom de Nicolas Jules, comme il est en train de le faire pour un autre projet, Bancal Chéri, avec son camarade de jeu et batteur de longue date, Roland Bourbon, mais aussi Dimoné et Imbert Imbert.
Donc, pourquoi écoute-t-on un disque, ou pas ? Parce qu'on le peut, parce qu'il existe, parce qu'on vous le conseille... Parce que tout le monde vieillit, même les plus jeunes, même les imbéciles qui finissent par changer d'avis sans se l'avouer, et que le meilleur est toujours à venir et qu'il serait idiot, par la même occasion de ne pas écouter chacun de ses disques, ne serait-ce que pour savoir si c'est lui qui a changé ou si c'est notre oreille qui s'est ouverte...
... 26 ans, huit disques sous son nom propre, et plus encore avec d'autres... et un fusil à bouchon.
C'est l'image de l'enfance, oui, avec une désillusion, avec la conscience que quelqu'un qui chasse avec un pistolet à bouchon n'ira pas bien loin. C'est une image de l'adulte qui a conscience de son peu de pouvoir.
Le vieillissement a ça d'intéressant... Mes chansons sont le reflet d'un vécu. Plus j'avance, plus j'ai des choses à raconter, des choses plus sincères, avec plus d'épaisseur, plus de rugosité... Les masques tombent.
Quand on est jeune, on écrit avec des projections de chose que l'on n'a pas vécu... puis à un moment, on n'a même plus besoin de se projeter... on a vécu !
* très beau titre d'album, dirais-je