16 jui. ~ Mendelson ~
l Mendelson l Personne ne le fera pour nous l
Dire que Pascal Bouaziz a conduit et sorti en dix huit mois, à cheval sur 2015-2016, autant de disques et de projets que depuis le début de sa carrière serait exagéré et pourtant pas tant que ça puisqu'il n'y a eu rien de moins que le retentissant Bruit Noir, au même moment que le plateau de concerts Génération X, puis sa panetière de Haïkus, la réédition des deux premiers disques de Mendelson et une salve de reprises aux textes conscients...
Cet album Personne ne le fera pour nous est un monstre dont l'auteur est devenu un ogre pantagruélique, pour le plus grand plaisir de ses fans.
Celui qui est devenu le comedy-rocker français par excellence, de ce style qui nous vient plus ou moins des États-Unis à base de rock et d'interventions en mode stand up, littéralement fait pour Mr Bouaziz quoi, exprimait à l'époque de la gestation de ce disque toute la difficulté qu'il avait à en préparer une sortie digne de ce nom. Je me souviens qu'à l'époque il avait confessé que le précédent, Seuls au sommet, avait déjà été difficile à faire exister et que le monde de la musique était devenu un enfer depuis la sortie du premier disque, dix ans auparavant.
J'étais sensiblement pantois quand il évoquait que pour le suivant c'était tout aussi compliqué, voire impossible, mais que ce serait un double album, au titre de circonstance. Certainement pour rendre les choses encore faciles m'étais-je dit.
Certes l'époque n'était plus aux vieilles largesses et prises de risques subséquentes de ce que l'on appelait des maisons de disques, ces dernières ayant perdu le lustre et leur utilité de pension pour artistes à nourrir et développer. Son ancien label avait mis la clef sous la porte, devinez, oui Lithium, c'est donc un montage financier complexe autant que diversifié qui devait permettre à ces 16 titres d'exister physiquement sous forme d'un double vinyle et d'un double CD...
À partir de ce moment-là, la difficulté semble être devenue un rouage plus qu'un obstacle, sans aller jusqu'à parler de moteur.
Seize titres mais double album du fait de la longueur des titres... car tant qu'à profiter d'une liberté, contrainte ou choisie, autant s'affranchir des formats classiques, et surtout des formats courts privilégiés par des radios-sandwiches où le pain serait la publicité, la musique jouant le maigre rôle de jambon, sans le beurre.
De fait, ce disque marque la prise de distance d'un artiste avec cette vague obsession d'une recherche de notoriété, qui mènerait à ce qu'il convient d'appeler le succès, pour se concentrer sur ses envies et son art. Cette forme de lâcher-prise lui ouvrirent les portes d'un respect plus important encore dans les sphères souterraines et assirent sa stature d'anti-poète et de ménestrel aux chroniques urbaines cinglantes autant qu'épiques.
Les onze minutes du titre Les petits frères des pauvres, sur Seuls au monde, poussaient déjà plus loin encore sa tendance latente à laisser les titres vivre leur vie pour dépasser allègrement les cinq, six, voire huit minutes... Libre et plus prolixe que jamais – ça reste à prouver -, Pascal Bouaziz, entouré de musiciens qui continuent à l'accompagner dans ses pérégrinations actuelles , aux premiers rangs desquels les deux batteurs Sylvain Joasson* et Jean-Michel Pirès**, plantait alors les germes de tout ce qui suivrait ensuite. Des titres de 90 secondes à plus de 11 minutes ouvrent l'horizon des possibilités, celles des haïkus, comme cet autre disque colossal qui arriverait cinq plus tard (5!), et que Pascal, loin d'être avare de la pratique du contrepied allait présenter comme un disque éponyme, quinze ans après ! Un disque triple (!!!) dont le deuxième réservé à un seul et unique titre de 54 minutes 26 (!!!).
Réécouter les deux premiers albums permet de (re)mettre l'accent sur le débit et le début de carrière de ce cartographe social un brin boulimique, de re-découvrir l'antiprémonitoire L'avenir est devant qui portait les germes d'une carrière que l'on sait aujourd'hui longue, pentue, proche du précipice mais jamais précipitée.
À bien y regarder, à bien écouter pour mieux entendre, ses textes étaient marqués déjà du sceau de vagues à lames dont Pascal Bouaziz est devenu le spécialiste.
À l'heure où l'artiste se réinvente avec Bruit noir, mettant en scène sa propre déchéance (et celle du monde), avec l'humour épanoui et l'art du dépeçage fleuri qu'on lui connaît désormais (l'excellent Requiem introductif de l'album I/III), il est heureux de constater que le label nancéien Ici d'ailleurs a donc définitivement repris le flambeau de feu-Lithium.
* Mad Pop'X, Dum Dum Boys, Oiseaux-Tempête, ...
** Bed, Married Monk, Boulbar, Prototypes, Headphones, NLF3, Yann Tiersen, Numbers not Names, Bruit Noir, ...