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03 jui. ~ Elista ~ Ep.3/4


l Elista l La Folie Douce l

Deux aspects du travail d'Antoine Gaillet ont pris une importance non négligeable dans son travail, deux facettes qui l'ont aidé à se définir en tant que réalisateur et qui l'ont amené à travailler dans des styles assez différents les uns des autres, à commencer par une curiosité qui le fait s'intéresser à un style, s'immerger pour comprendre les rouages, la quintessence et les codes. Entre M83, Zombie Zombie et Elista, on ne peut effectivement pas dire que l'on est complètement dans les mêmes univers.

De plus, dans la discographie d'Elista, cette Folie douce sort un peu elle aussi des entiers battus pour proposer l'un des disques de pop dark wave les plus intéressants qui soient sur la scène française, et en français dans le texte.

C'est rigolo parce que justement quelque part Elista, ils font appel à moi parce que j'avais fait M83, répond Antoine à la question de se savoir pourquoi et comment il s'est retrouvé à travailler avec eux.

Quelque part, c'est la première fois qu'après ce truc un peu hors format, un peu atypique, qu'est M83, on fait appel à moi dans un cadre plus pop, plus chanson, en français pour une esthétique qui était aussi hors cadre

Mais l'histoire est rocambolesque, pour un groupe qui quittera sa maison de disque par la suite.

Avec Elista, je me retrouve à devoir entre guillemets prendre cette formule que j'ai trouvée avec M83 et la cadrer dans un truc où ce sont des chansons, rock, en français, pour Sony, enfin pour une major !

... un truc un whooo d'accord...

Ce n'était pas si simple que ça, en plus. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'ils arrivent avec cinq ou six titres faits avec un producteur qui s'appelle Dimitri Tikovoï, un producteur anglais qui avait fait Placebo, qui avait fait pas mal de trucs rock comme ça dans les années 2000, ils devaient continuer et finir avec une nana en Belgique qui avait fait Ghinzu*... et puis bon finalement ils n'ont pas accroché, et ça s'est pas fini... donc ils sont revenus vers moi...

Donc moi, j'avais déjà tout un chemin qui était tracé, et je suis arrivé assez tard en fait dans le processus de création, donc j'ai pas tout suivi... Il y avait des choses qui étaient en place. Par exemple les titres de Dimitri, je ne les ai pas touchés, j'ai juste fait du mix, de mémoire, et après effectivement les autres j'ai fini un peu la prod avec ce qu'il y avait déjà. J'ai abouti la prod et j'ai mixé le tout…

Donc, quelque part, par rapport à d'autres disques pour lesquels je pars de la page blanche et je construis le truc avec les artistes, j'ai en général un peu tout en tête… Là, j'ai un peu pris le train en marche. Pour un disque de M83, j'ai dû mettre trois mois à le faire, Zombie Zombie, deux mois et quelque, et bien là, ça a été beaucoup plus court...

Je suis arrivé, je ne sais plus... on a dû faire une semaine de prises ensemble, comme ils avaient déjà fait pas mal de choses, et j'ai dû faire trois semaines de mix. Du coup, j'ai dû faire ça en un mois... C'était un peu speed, en tout cas à mon niveau…

Je ne sais pas faire un disque en moins de trois semaines, en moins d'un mois. Je crois qu'on est arrivés en studio et on s'est dit Voilà ce morceau-là, il faut refaire ça... Donc je peux pas dire que j'ai eu une vision d'ensemble, que j'ai maîtrisé vraiment le propos global de ce disque là …

Mais du coup, Antoine se retrouve face à un premier défi, comme il les aime... avouerait-il à demi-mot...

C'est un disque qui est important pour moi... dans le sens où pendant très longtemps j'ai eu une carrière assez maison de disque, quand je dis maison de disque c'est pas péjoratif, un peu mainstream, des trucs qui peuvent passer à la radio et d'un autre côté je fais des M83, des Berg Sans Nipple, Zombie Zombie et là c'est la première fois où les deux carrières se réunissent... L'exercice était pas évident... se retrouver à avoir d'un côté le cerveau de la démarche artistique et de se dire Tiens, il faut qu'on trouve un son, une approche caractéristique du groupe, et d'un autre côté, la maison de disques qui dit Wow ! Faut que ça passe à la radio ! Du coup, le challenge de ce disque-là, il a été un peu dans ce sens-là.

J'imagine que c'est vrai. Je n'étais pas à sa place, commente à ce sujet Benjamin Peurey, auteur des textes de ce groupe à part dans lequel il n'intervenait pas sur scène, laissant le soin de chanter les paroles à deux personnes, François (Nguyen), et Thomas (Pierron), un état de fait relativement iconoclaste pour un groupe qui plus est français.

Je sais qu'on savait ce qu'on voulait faire, et qu'il fallait effectivement cependant des tubes potentiels. Trois titres de l'album ont finalement bénéficié de passages radio, dont Dès le Départ, Dès le Début, sur lequel Antoine a fait, après Christine (Verschorren), un travail fantastique. Tout en nous permettant d'enregistrer une version de ce titre qui nous satisfasse autant que c'était possible. S'agissant d'offrir au groupe le beurre et l'argent du beurre, ce que je peux dire en tout cas, c'est que oui : il l'a fait pour Elista. Et il est indiscutable que c'est aussi beaucoup grâce à lui que cet album est mon préféré du groupe, dit Benjamin.

Mais réussir à boucler ce disque, sur cette période, relativement plus courte qu'à l'accoutumée, quand il travaille sur un disque, c'est aussi, quelque part, la deuxième facette qui définit son style de travail qui lui aura été utile... l'empathie, la mise en confiance et en sécurité de l'artiste pour obtenir le meilleur résultat possible, d'autant que pour lui, le challenge était double...Non seulement, le groupe souhaitait ardemment un disque qui se démarque musicalement de l'esprit de ce qu'ils avaient fait auparavant mais en plus, à la réalisation, il se retrouvait avec des sources originales diverses et variées… et tout un univers à reconstituer.

Je me retrouve effectivement un peu à recoller les bouts… après, souvent, je me dis que, malgré tout, il faut faire confiance aux artistes. Même s'il y a des couleurs, on va dire des prods, différentes, il faut pas oublier qu'à la base, la compo, l'écriture, c'est la même personne, enfin que c'est la même entité. En tout cas, dans Elista, c'était pas évident parce qu'il y avait deux chanteurs-compositeurs. Donc à la base, déjà, tu te retrouves un peu avec une dualité mais (...) quand tu le réécoutes, je trouve que ça reste homogène quand même. C'est peut-être aussi le fait que ce soit Benjamin (Peurey) qui écrive tous les textes... Du coup, ça fait un fil rouge.

Benjamin en conserve un souvenir légèrement différent :

Il y avait certainement moins à faire sur le travail de Dimitri que sur celui de Christine, avec laquelle les conditions d'enregistrement avaient été plus compliquées. Mais il oublie un peu, ce grand modeste, qu'il a aussi enregistré certains titres de A à Z, comme Finir dans les journaux.

De plus, il fallait unifier trois sessions aux conditions d'enregistrement très différentes, pour n'avoir pas à souffrir d'éventuelles incohérences... et ça, c'est clairement son oeuvre. Il a été d'une efficacité redoutable, sur ce disque, dont je continue de penser qu'il n'aurait pas pu être aussi fidèle à nos attentes sans son travail.

Modeste donc, Antoine voit les choses avec un peu de recul également.

Je dirais que malgré tout ça... même si le producteur c'est important, il ne faut pas oublier que c'est quand même l'artiste… Ce serait triste qu'avec X producteurs différents, tu te retrouves avec X univers complètement différents. Ça voudrait dire que quelque part l'artiste n'a pas assez d'empreinte (sur sa musique) pour être marquant...

Non pour moi, vraiment, le challenge sur ce disque-là, ça a été un peu de rattraper un groupe qui était peut-être … pas déprimé … mais aussi de rassurer un groupe qui était en mauvaise posture, dans la mesure où ils étaient un peu dans une impasse au niveau production… Du coup, c'était plus de leur redonner confiance dans leur truc, de leur dire On va trouver des solutions et on va y arriver... Ça a été plus ça, qu'un truc de conception…

Dans ce cas-là, j'ai pas eu l'impression d'être le seul capitaine à mener le bateau d'un point A à B… j'ai eu l'impression que tout d'un coup, on m'héliportait sur un bateau où je disais Venez ! Allons par là... mais le groupe avait la vision de ce qu'il voulait faire.

Antoine a expliqué qu'il appréciait quand un groupe était en mesure de prendre du recul sur sa musique. En l'occurrence, avec deux sessions avec des producteurs différents, les membres d'Elista devaient bien avoir eu le temps d'en prendre du recul, et des cheveux blancs.

Il y avait de ça, et puis ce sont quand même des gens qui ont une culture de la prod ! nuance-t-il.

Je pense que, et Thomas, et François, avaient déjà fait leurs maquettes dans leur ordi. On est en quoi ? On est en 2005... ça y est les gens ont un petit ordi où ils ont bidouillé leurs guitares et leurs voix... Du coup, c'est déjà un peu tracé et l'échange se fait dans le sens où … quand on recherche un son de basse fuzz, Thomas sait un peu ce qu'il veut, clairement… Il y avait un vrai échange... et on n'avait pas trop le temps de se dire Ah ben tiens ! Tu fais ton truc et on refera si ça va pas... C'était un peu la dernière chance!!!

C'(était) un groupe curieux dans le fonctionnement. C'(était) hyper bizarre. C'est vrai parce que t'as Benjamin qui est là, qui n'écrit que les textes, et à la fois, il est hyper impliqué dans le groupe. T'as ces deux chanteurs-compositeurs,... c'est un schéma de groupe que tu as nulle part ailleurs. À un moment, il y avait Herman Düne, avec les deux frangins qui composaient chacun et chantaient et tout, mais du coup, clairement, tu entendais les morceaux de YaYa et tu entendais les morceaux d'André, joués par le même band... mais tu sentais vraiment deux prismes différents.

Là dans Elista, tu le sens, un peu, mais c'est pas aussi marqué que ça. Je trouve donc que c'est peut-être effectivement le fait que tout les textes soient écrits par Benjamin... Il y a peut-être de ça, mais dans mon souvenir, il y avait quand même François qui intervenait sur les morceaux de Thomas pour faire, je ne me souviens plus trop, un choeur, puis inversement. Il y avait tout le temps une proportion plus ou moins grande d'input de chacun dans les morceaux de l'autre.

Je trouvais que ça fonctionnait vraiment dans l'échange… parce qu'effectivement, il y a les groupes démocratiques où personne ne tranche et il faut que tout le monde soit d'accord et tout … Des fois, je trouve ça compliqué… C'est pas mal d'avoir un leader quand même qui tranche un peu. Là, vraiment, j'avais l'impression que ça restait un équilibre et du coup c'est un peu une tête à trois, à quatre , avec Marc (Mallia), le batteur qui intervient beaucoup parce qu'il fait un peu des prods et tout ça.

Cette Folie douce, et notamment, à mon sens, le doublé Lâcheté... Courage, montre combien le rock, en français peut tirer son épingle du jeu... déjà musicalement, mais en plus avec une qualité de texte qui ose, par exemple, la rime en age, qui nécessite du travail et une culture de l'Oulipo, rare dans les musiques actuelles en France... Antoine en offre une explication plus technique sur la confrontation -pourrait-on l'appeler autrement ?- entre le rock et la langue de Molière.

Aujourd'hui, tu as beaucoup de prods, que ce soit rock, ou folk, ou de cette entité pop globale, où c'est assez bien appréhendé. Je trouve que le rapport avec la langue française fonctionne…Pour un groupe qui chante un anglais, je trouve qu'il n'y pas trop de problèmes... Dès les années 90 il y avait des trucs chantés en anglais qui étaient super... que ce soit Drive Blind, Condense, Portobello Bones, Sleeppers, tout ça... c'était déjà des gros groupes rock vraiment pur et dur, mais ça chantait en anglais... donc effectivement il n'y avait pas cette lutte avec une musique qui n'était pas française.

La langue française dans le rock c'est un truc qui n'est vraiment pas évident parce que tu vas avoir ce qu'on appelle des formants, certaines fréquences, qui composent les mots et des fréquences se retrouvent souvent en lutte avec des guitares, des caisses claires, des trucs comme ça... Donc forcément, même dans le chantant pas chantant, d'un coup, tu te retrouves un peu en lutte avec des éléments du rock. Du coup, je pense qu'il a fallu un peu de temps aux ingénieurs du son, à tout le monde, pour trouver les astuces pour contrer ça.

Et d'élargir le débat à cette difficulté qu'a la France à s'imposer au niveau international, hors French Touch et quelques rares exceptions, comme peuvent le faire les pays nordiques... Une question de pratique de l'anglais mais pas que...

Il y a un truc au niveau prod en France (...) bien sûr, il y a des exceptions qui confirment la règle, mais quand même dans l’industrie de la musique de manière globale, il y a toujours un peu ce truc de follower. J'ai l'impression qu'il y a toujours un... Tiens ! Y a ça qui a cartonné aux États-Unis et si on faisait la même chose en français ? Et tu le sens tout le temps, tout bêtement, genre un Drake qui fait un pur disque de pop r'n'b... et bien pendant trois ans, tu as tout le monde qui dit Ça serait bien qu'on fasse un disque de pop r'n'b !!! Ou bien tu vas avoir Sia et... Tiens ! Ça serait bien de faire un truc à la Sia

Je ne sais pas comment dire ça mais un artiste anglo-saxon quand il développe son univers artistique quand il fait sa prod, quand il compose ses morceaux... il n'est pas en train de regarder ce que fait le voisin. En fait, il se dit J'ai envie de faire mon disque qui me ressemble avec mes influences, avec mon truc, mon terreau... et point. C'est là, des fois, où je pense qu'entre la musique française et l'influence anglo-saxonne, on se paume un peu. On est un peu trop suiveurs de ce qui peut se passer Outre-Manche, surtout Outre-Atlantique en ce moment.

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