10 avr. ~ Dum Spiro ~
l Dum Spiro l Hors Chant l
Une pochette évoquant La Femme piège dans un esprit très Enki Bilal pour présenter Dum Spiro.
C'est la très belle idée du peintre et galériste JJV* pour illustrer le rêve, la beauté, la légèreté émanant du projet de collaboration entre Zédrine, aux textes et au micro, et Francisco Esteves, aux machines, tout en affichant une forme de mise à nu et de torture intérieure qui transpire de leur l'univers...
Dum Spiro est l'un de ces exemples de collaborations impromptues mais pas hasardeuses qui essaiment la scène alt-rap et font souffler un vent frais dans le milieu du hip hop avec des croisements de genres trop souvent et trop hâtivement placés à l'opposé de la roue musicale.
Les artistes nord-américains sont en quelque sorte en pointe dans le domaine, que ce soient WHY?, Buck 65, pour les plus connus, ou Astronautalis, Home, Ceschi Ramos, Bleubird,... Ces hybridations de rap avec de l'électro, des guitares électriques ou acoustiques se font à coups d'échanges de fichiers - comme de concerts - au-delà des frontières et des océans, comme le montre la compilation Connect the Machine to the Map**.
Les artistes français ne sont pas en reste pour autant, comme le montre la collaboration Arm/Tepr mais aussi, bien avant ça, le pont jeté entre Toulouse et Austin, Texas par Binary Audio Misfits, donc Cisco fut le maître d'oeuvre, à distance, avec le collectif Word Association.
Il est donc peu surprenant de voir débarquer l'ex-Toulousain pour un projet tel que Dum Spiro, une rencontre aussi naturelle que presque inéluctable comme l'explique Zédrine.
On ne se connaissait pas personnellement, mais je connaissais et appréciais beaucoup de longue date une bonne part de son répertoire, donc la collaboration était une occasion que j'avais très envie de saisir. Cisco peignait ses tableaux musicaux, cherchait à compléter l'image. Il a frappé à ma porte. Mon écriture, qui murissait doucement, s'est glissée très naturellement et avec beaucoup de plaisir sur ses productions et nous avons assisté tous les deux à la naissance d'une nouvelle identité à défendre.
Dès les premières notes, et au fil des titres, on retrouve et reconnaît la signature sonore, qu'il développe par ailleurs sous le pseudonyme We Are Disco Doom Revenge, dont le superbe titre Wandering résonne sur Elle rêve. Rythmique déambulatoire, mélanges acoustiques et électriques, claviers basse obsédants, choeurs d'échos... on retrouve la narration de l'ancien bassiste d'EXP (Experience) devenu funambule beatmaker....
En général les musiques existaient déjà. C'était des décors prêts à être habités, ce qui m'a beaucoup aidé pour sur les pistes d'écriture ou d'interprétation. Un grand terrain de jeu, assez diversifié. Et carte blanche pour m'y exprimer, décrit Zédrine.
Poudre de rien est un texte important pour moi, qui existe depuis longtemps et qui cherchait à trouver son arrangement, cette fois-ci, c'est fait et bien fait !
Il est donc peu surprenant que l'idée de croiser et d'exprimer l'aspect international et collaboratif débouche sur des textes en anglais par et avec Zédrine et quelques connaissances du label son acolyte, Dora Dorovitch.
Ma proposition de départ était déjà écrite dans les deux langues. J'aime bien glisser de l'une à l'autre selon le sens et les sonorités. Donc c'est une suite assez logique de collaborer avec des artistes qui apportent leur langue, explique le maître de cérémonie, avant d'ajouter. On avait très envie tous les deux d'inscrire ça dans une démarche pas du tout franco-française.
Et en même temps qui défende bien la langue française là-dedans. Pas question de faire un album tout en anglais juste pour viser un public international.
Outre Chief, aka DoomsdayDevice de The Word Association, Brzowski, et Jason Cornel de Milled Pavement, on retrouve ainsi SwordPlay, dont l'album avec l'Amiénois Pierre the Motionless a marqué le retour du label en question, habitué des créations protéiformes à distance.
Swordplay apparaît sur Run for your life. C'était une première pour moi de bosser (...) à distance par échange de fichiers. Et ça s'est fait super naturellement.
Le texte est l'essence du rap, mais l'essence du beatmaking est la bande son qui vient l'habiller, l'emballer, le mettre en valeur. Le silence ou l'instrumental trouvent donc une place logique dans un album de ce genre, d'où, pour notre plus grand plaisir, l'interlude XXL Mazra.
On a voulu le laisser tel quel sans texte pour qu'il y est une respiration musicale, confirme Cisco.
Objectif atteint. Tout comme Zédrine, animateur par ailleurs d'ateliers d'écriture, pose des textes qui atteignent leur cible avec des titres chers à l'auteur qui rendent les clefs à l'auditeur.
L'intention de départ, chez moi, est en général que les gens puissent construire dans et autour du texte une sensation, une vision plus large que ce que je donne explicitement. Combien de vies est un propos que j'avais besoin de poser, sur le refus des "si" et l'acceptation de la vie que l'on mène.
Le texte atteint son but si ce qu'on me dit reflète ça. Que la personne s'est suffisamment plongée dedans pour en tirer des fils (...) Il faut que l'interprétation elle-même m'échappe. D'où le choix du titre de l'album Hors Chant. Pour le clin d'œil au spoken word, bien sûr. Et pour cette question de ce qui se passe hors champ.
*Jean-Jacques Valencak