18 jan. ~ Jesenska, Malon, Arnaud ~
l Orso Jesenska, Mathieu Malon, Erik Arnaud l Triptyque l
Nombreux sont les artistes qui évoluent dans le monde de la musique souterraine*, comprendre injustement méconnus. Ils co-existent avec un certain nombre de labels parfois encore plus souterrains. Les uns comme les autres ne voient pas le jour, ou si peu, mais, par plaisir voire par nécessité, ils sont déterminés à affronter les soufflées de l'indifférence des médias de grande envergure en mettant sur pied des projets audacieux, beaux et (le plus souvent) coûteux pour leurs petites économies (au propre comme au figuré).
D'aucuns diront 'c'est parce qu'ils le v(eu/a)lent bien' ou 'certes, mais si leurs artistes ne percent pas plus que ça c'est qu'il y a bien une raison!'... comprendre 'ils ne doivent pas être si 'géniaux' que ça'...
Ta ta ta ta ta ! ** Je ne rentrerai pas ici dans le débat des prescripteurs qui se drapent d'un rôle qui les dépasse et dont ils n'accomplissent pas le tiers du quart du minimum que cela impliquerait pour en avoir l'étoffe.
Trêve de mouchoirs. En tout cas, ce projet de triptyque par le label Monopsone jette un peu de lumière sur trois artistes contemporains d'une chanson que l'on pourrait appeler moderne, surtout quand il s'agit, par exemple, de Matthieu Malon.
Cet acteur de longue date de la scène underground française qui signe ici un excellent six titres, qui vient confirmer tout le bien que l'on pouvait penser de son dernier album en date. Le titre de ce recueil sobrement appelé Peu d’ombre près des arbres morts aurait presque des allures de message à double fond...
Il a mis du temps discographiquement à passer aux textes en français, et il est vrai que j'aurais toujours une tendresse toute particulière pour l'univers électronico-darkwave de Laudanum. Il lui a fallu un peu de temps pour trouver sa plume et une sémantique bien à lui qui le distinguerait de certaines de ses références... mais Peut-être un jour est un disque important par sa qualité de storytelling, de songwriting et d'ambiances et arrangements. Les fantômes de Daniel Darc, Diabologum** et de toute la cold wave des années 80, avec quelques percées de noisy pop pur jus l'ont amené à trouver une forme de non-chant qui laisse s'exprimer autant le texte que la musique.
Des titres comme Sur la dune et Elle chasse mes rêves sont l'illustration de la sensibilité artistique qu'il a développé, entre minimalisme instrumental et vocal, ambiances tendues et éthérées, introspections et narration aussi fines que dépouillées. La noirceur apparente n'en empêche pas moins l'humour et le trait de référence lorsqu'il s'agit d'adapter deux tubes de ces années-là, traduits avec style.
Question style, Erik Arnaud reste un peu un mystère. Après être tombé sous le charme du premier album écouté à l'époque, le séminal Comment je vis avait immédiatement rejoint les Bertrand Bestch, Mendelson et autres Diabologum au rang des trublions du texte en français, avec une certaine fragilité post-adolescente, proche de l'os qui faisait mouche (cf Devenir folle). La suite m'a fait prendre un peu de distance, séduit qu'il ait été, semble-t-il, par une écriture musicale plus 'rock adulte' que je n'apprécie toujours pas plus que ça, sauf rares exceptions.
Pour autant, je ne suis pas du genre à ranger les choses dans des tiroirs et à en jeter la clef. On a le droit de changer d'avis ou de changer tout court. De fait, les titres proposés à Monopsone pour ce trypique ravivent la flamme, surtout avec le diptyque Golden Homme/Golden Femme, deux titres de pop ciselée qui pourraient être les deux faces d'une même pièce : pile synthpop entre Sheffield et Londres, face pop florale polyrythmique mancunienne. Impatient d'entendre la suite.
Dans le cas d'Orso Jesenska, les horizons semblent décloisonnés, défiant les frontières et la notion de vase clos parfois attribuée à la chanson française.
Touché en plein coeur par Un courage inutile qui se posait comme un écrin de sensibilité et de classicisme, autant dans le texte que l'interprétation, on ne pouvait que saluer le pont évident qu'il dressait entre les bouches du Rhône et l'embouchure de la Loire. La chrysalide a depuis donné un magnifique papillon avec Effacer la mer, véritable pièce d'orfèvre, douce alchimie de chanson, de pop, d'americana, de soul et de rock (rien que ça).
Les Variations d’Ombre offrent ici une nouvelle déclinaison de ce puits sans fonds que semblent être ses sources d'inspirations. Brésil, Arizona, Italie, Californie, à portée d'oreilles pour des compositions chatoyantes et soyeuses.
Comme dirait mon petit neveu (et mon grand-père), 'mais jusqu'où s'arrêtera-t-il ?'
* toute ressemblance avec un nom de label serait dans le cas présent totalement fortuite et non pertinente, quoique.
** ne pas confondre avec son cousin Taratata.
*** références toutes personnelles of course, d'autres y verront Manset, Marquis de Sade ou Kas Product, ...