28 juil. ~ JoeyStarr ~
l JoeyStarr l Gare au jaguarr l
Au moment de prendre la plume, toute électronique soit-elle, la même appréhension avant d'oser parler d'un monstre sacré comme JoeyStarr que lorsqu'il s'agissait d'aligner quelques mots sur celle qu'humblement je me permets de considérer, à bien des égards, comme son miroir féminin, Casey.
C'est bien entendu sujet à débat, mais pas tant que ça, quand il s'agit de prestation scénique, de colère sémantique, de choix des mots et la mémoire sociopolitique.
Après, JoeyStarr, c'est l'explosion des schémas simplistes d'une dualité manichéenne d'un Dr Jeckyll vs Mr Hyde, d'un Bruce Banner vs the Hulk... Parce que c'est plus l'un qui bouffe l'autre. Que reste-t-il de Didier Morville ?
Son premier album solo, Gare au Jaguarr, est à l'image du personnage... Insaisissable, félin -bien sûr (!)-. Sanguin. Frontal, et, l'air de rien, avec le recul, un brin en avance sur son temps.
Plus facile à dire, aujourd'hui, avec un recul de dix ans, sans compter qu'à l'heure où aucun cuisto n'envisageait de remettre sur le piano les hybridations rap et de métal à la Body Count, il croise le fer avec les gros rockers d'Enhancer, tout en incorporant à la sauce quelques épices caribéennes.
Résultat, il émane par moments comme des colorations avant-coureuses de trap music, sur quelques titres. Il a du nez le jaguar et sait s'entourer (Dadoo de KDD, Amir Kimfu Boudouhi, ...) ...
Le disque est rempli de références, d'une autre époque certes, mais qui sont d'une texture qui manque cruellement au rap d'aujourd'hui, et dont les sources ne semblent pas directement sorties d'une page Wikipedia... La référence à la palme massive du Gorille, Jean Gabin, n'échappe à personne dans sa pertinence, ni celle du Métèque de Moustaki ou celle de sa Mauvaise réputation, titre de sa biographie, écrite avec Philippe Manoeuvre. Si c'est pas une preuve de culture, du mélange des genres... Emporté par la foule, il déboule dans un jeu de quilles qu'il a choisies. En sous-main, un respect pour la chanson française qui ressurgit dans du rap de bonhomme, sans autotune ni rimes de cours élémentaire.
Il s'applique à brouiller les cartes, à règler ses comptes au passage, quitte à semer ses premiers fans pour mieux alimenter le venin de ses premiers détracteurs. Qu'importe ! Indomptable, incompréhensible mais fidèle à lui-même, imprévisible, il fait ce qu'il veut, Lui, le Depardieu du rap... Lui qui invite, en quelque sorte, Olivier Besancenot à passer un message en interlude. Lui qui raconte sa vie comme d'autres la romancent et passe d'un titre au verbe aussi juste qu'incandescent à un compte-rendu dadaïste de soirée à la dérive.
La version de Gare au jaguarr en live laissait transpirer un groove sauvage qui n'était pas sans rappeler la tournée pour l'album Suprême NTM, qui le voyait lui et Kool Shen tenir les rênes d'un Zénith bondé et surchauffé, à l'image, dans un autre genre, d'un Slipknot.
Si tout le monde attend la reformation scénique du plus ricain des duos du 9-3, une récente discussion avec un responsable d'un centre de ressources hip hop donne un peu à réfléchir sur un devoir de mémoire beaucoup plus simple à défendre que les méfaits du colonialisme.
Un soir, un blind test, et une foule incapable de reconnaître NTM... et certains de réagir interloqués. Joey qui ? Joey Starr ? Le mec qui fait du cinéma ? Ah bon il fait du rap aussi ?...
Triste ! La faute à qui ? La faute aux algorithmes ? Aux likes en forme d'impasses cognitives, à défaut de partage de connaissances, d'éducation des masses autrement que par des contenus sponsorisés ? au sens propre comme au sens figuré ?
L'avenir du rap est-il dans son passé ? Vous avez deux heures.