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17 avr. ~The Little Rabbits ~ Ep.1/2


l The Little Rabbits l La Grande Musique l

La musique, grande ou petite, populaire ou underground. Ce ménage à trois entre l'artiste, son public et la subjectivité.

Comme souvent, la perception de l'auditeur, et plus encore celle du fan ne peut pas être plus distante de la réalité et du vécu de l'artiste. On ne compte plus le nombre de fois où la perception de l'oeuvre d'un artiste se retrouve en décalage avec celle de ses fans. C'est la beauté du métier, ce sont les règles du jeu, dira-t-on, peut-être.

C'est donc bercé d'une objectivité toute relative qu'il est possible d'affirmer que The Little Rabbits sont un des groupes incontournables de la scène française par la vitalité délurée de leurs albums et l'audace de certains de leurs partis pris.

Dix-sept ans de carrière, peu ou prou, de 1988 à 2005, sont autant de folles années d'une aventure scénique et discographique impressionnante, en tout cas pour leurs fans, et qui n'a jamais cédé au copier-coller d'un album à l'autre, prenant par surprise l'auditeur sans jamais - que je sache - perdre l'adhésion de ses fans.

Décomplexés de leur nationalité française face à l'hégémonie anglo-saxonne, ils ont bousculé le petit train-train la pop made in France, déconstruisant le mur des convenances sur leur 3e album Grand Public quand n'importe quel groupe aurait sagement poursuivi dans la droite ligne des deux albums précédents de pop flamboyante. Ils s'emparaient ensuite des codes 60's et 70's en français et en anglais dans le texte quand on les attendait sur une suite post-blues déstructuré iconoclaste, Yeah ! ouvrant la voix avec force dérision à cet album de Grande Musique, un des albums les plus sexy de la planète pour un groupe français alors qu'on les pensait partis chasser sur les terres de Gainsbourg...

Ces lapins, pas chasseurs, mais défricheurs, auront fait exploser nombre de carcans, sauté allègrement sur les conventions pour produire une discographie rare, éclectique et enjouée.

La fin de l'aventure, dans un gigantesque nuage de fumée et d'éclairs qu'était la B.O. du film des frères Poiraud, Atomik Circus, sonnait comme un déchirement, tant le groupe a pu susciter un attachement fébrile, bien qu'injustement underground.

Face à la tristesse toute compréhensible des fans, Federico Pellegrini en parle plus comme on regarde un album photo avec ses bons et ses mauvais souvenirs, un regard nostalgique.

Pas de la nostalgie dans le sens j'aimerais que ça ait continué, mais dans le même sens que l'enfance, l'adolescence, nous étions des jeunes gens qui essayions de faire quelque chose de notre peau, pas moins qu'aujourd'hui, sauf que c'était avant, autre époque, âge différent, autre soi-même, avant aujourd'hui, dans l'ordre où vont les choses. Comme un souvenir (…) D'une certaine manière, rétrospectivement, j'ai du mal à voir une rupture, la musique continue, ou la vie. On a arrêté parce qu'on en avait assez de voir nos gueules dans le même camion. Aujourd'hui, on a chacun sa voiture, et les vaches sont tout aussi bien gardées.

Une certaine gourmandise, une impatience qui ne saurait se satisfaire de ce que l'artiste lui donne poussera toujours le fan comme le journaliste à en vouloir toujours plus. Pourtant, la trajectoire de ces petits lapins a de quoi laisser nostalgique et faire quelques envieux, mais elle a aussi de quoi laisser un large sentiment de fierté.

Ni fierté ni regrets en tous cas. Je ne suis pas fier d'avoir fait des disques, c'est marrant mais ça ne se joue pas là. Je suis content de les faire, et de les avoir fait, mais je suis toujours sur le prochain. Regrets non, parce qu'au moment où on met un point final à un album, je le considère comme montrable, je considère qu'on est au bout, que si on ne s'arrête pas là, j'aurai envie de passer à autre chose, disons que lorsqu'il est terminé, il est temps qu'il le soit, on y a passé tellement de temps, mis tellement d'énergie. Nostalgie, oui, mais pas spécialement musicale, disons que ça marque le temps, comme des jalons, mais comme un picnic avec une cousine sexy de trois ans de plus que toi.

Je crois qu'on a fait ce qu'on avait à faire. On a eu une compile, un tribute, des albums, une BO, on nous propose même aujourd'hui de faire des rééditions, pour les fans (...) Alors je dirais qu'on a fait exactement ce qu'on avait à faire, pouvait faire dans le monde, à cette époque-là, entre nous, avec nos doutes, parfois ça coulait tout seul, parfois c'était difficile, comme les rapports humains. On s'est arrêtés exactement au moment où il fallait, c'est-à-dire au moment où nous devenions incapable de mener à bout un nouvel album. Il aurait fallu dix ans pour le faire.

La Grande Musique convoque à bon escient le meilleur de la pop américaine, du funk et de la soul avec un nappage et des cerises à la française. La richesse des arrangements, que l'on imagine complexe, nous laisse en tout cas avec un album abouti, intelligent, ouvert sur toute une gamme d'univers sonores qui, en toute subjectivité, pourrait amener à parler de leur album rose comme d'un Dark Side of the Moon, Harvest Moon, Goo,... avec la question légitime de savoir si et comment faire mieux.

Mais encore une fois, le décalage, le prisme, les attentes, la vérité, étaient ailleurs.

J'imagine que les attentes, c'est plutôt du côté de la maison de disque qu'il faut les chercher. De leur côté, ils devaient se dire qu'il y avait peut-être plus de potentiel. En ce qui me concerne, je ne me souviens pas m'être attendu à autre chose qu'avec les disques en anglais. D'autant plus qu'il a été très long et éprouvant à enregistrer cet album. On venait de découvrir la musique sur logiciel, donc tout à coup, ça ouvrait tellement de possibilités de trifouillage. Seulement, le trifouillage, quand tu découvres, c'est très chronophage et tu peux vite t'y perdre, se souvient Federico.

Aujourd'hui, je continue à enregistrer sur mon ordi, mais je me sers du logiciel comme un magnéto. Dans son plus simple appareil. Donc, faire mieux, ou différent, ou faire encore, on aurait pu. On peut toujours faire mieux. On peut toujours faire autrement. En tous cas, celui-ci en particulier, je pense avec du recul, que si on l'avait répété jusqu'à épuisement et enregistré live et squelettique, il aurait été aussi bien.

C'est marrant mais quand j'y pense, quand tu dis ne plus pouvoir faire mieux, ce qui est assez incroyable, c'est que la maison de disque ne comptait pas nous lâcher pour autant. Ils étaient partants pour un autre. Alors que l'album avait dû coûter une bonne paire de bras. Un autre truc assez drôle, c'est que chez Virgin comme chez Barclay, on a toujours été considérés comme groupe en développement. Comme un groupe qui a repiqué cinq classes. T'as le prof qui se dit, mais non, je suis sûr qu'ils vont finir par l'avoir leur Bac. Et puis finalement, tu te rends compte que ça ne t'intéresse pas d'avoir le Bac, tu préfères avoir plusieurs brevets.

Pour autant, loin d'être quelques lapins crétins, les Rabbits ont quand même clairement passé un certain nombre d'épreuves haut la main. Ils sont été les premiers Frenchies à aller enregistrer avec Jim Waters (JSBX, Sonic Youth, The Posies ….) à Tucson, ils ont chanté avec Angie Bowie, tourné avec Jean-Pierre Marielle et Benoît Poelvoorde, servi de backing band de luxe pour Katerine sur l'un de ses albums les plus sexy, repris les Go-Betweens, Anna Karina/Gainsbourg, offert à Vanessa Paradis l'un de ses albums les plus en marge de sa carrière.

Il en ressort un sentiment d'effervescence jouissive pour le public mais plus dure et sauvage pour le groupe, sans pour autant que ce soit à prendre dans le mauvais sens des termes.

Aujourd'hui, il arrive que des gens me parlent des Rabbits comme un truc hyper important dans leur vie. Je suis content pour eux et ça me fait plaisir bien-sûr, je suis content que ma musique ait pu jalonner la vie de certaines personnes, mais j'ai l'impression qu'on n'est pas loin de la cousine sexy quand même, assez proche de la nostalgie finalement, je pense qu'ils entendent par là qu'à cette époque là, ils avaient vingt ans.

Dure et sauvage pour le groupe, certainement. Ça use quand même un peu les tournées. Surtout qu'en ce qui nous concernait, c'était un peu la fête tous les soirs. Quand on jouait, c'était comme un samedi soir alors forcément, il y avait quelques semaines avec quatre samedi d'affilée. Et puis petit à petit, tu te tailles une réputation si bien que les salles, quand elles te voient arriver, elles ne te lâchent pas avant que tu roules sous la table et c'est vrai qu'on ne se faisait pas prier.

Une aventure à 100 à l'heure, pied couché sur l'accélérateur, et comme un Inspecteur Derrick un peu James Dean dans l'âme, sans marcher sur des oeufs, les Rabbits ont fait un grand saut dans le vide avec un mélange bien à eux entre moderne et rétro, entre rock sexué et pop bruitiste à la française...

De fait, Yeah ! et La Grande Musique ont donc un peu pris tout le monde par surprise*, musicalement mais aussi et surtout dans la façon de scénariser la langue française avec un naturel et un détachement déconcertants.

Une évolution logique, forcée, naturelle ?

Un peu tout ça, concède Federico. Arrive un moment où tu te rends compte que pour t'exprimer, ta langue maternelle est quand même plus riche, plus nuancée. Et puis c'est un jeu aussi. Par contre, forcément, ça change la musique. A l'époque, j'étais un gros consommateur de film de la nouvelle vague. J'essayais de mêler cette insolence, insouciance, à ce qu'on faisait. Et puis il y avait ce même regard tourné vers l'Amérique dans ces films-là. Les bagnoles, les polars, les filles… Comme je n'aimais rien de ce qui se faisait en français, je me retrouvais sans modèle véritable, donc le cinéma, c'était pas mal, pas de la musique, mais énormément de films.

Et petit à petit ça devient agréable. J'aime bien passer de l'un à l'autre, en anglais, je survole, je joue avec les mots que je connais, ça crée un vocabulaire qui m'est propre (Jim, à qui je montrais mes textes me disait à chaque fois, ouais, très bien, ah, ça, ça ne se dit pas, mais quand c'est toi qui le dit, c'est très bien) et en français, j'appelle un chat un chat, même si parfois je veux dire chien.

Forcé ? Finalement non, même si effectivement, la maison de disque nous a toujours dit, bien-sûr, si vous chantiez en français, ça nous aiderait, mais non, quand je me suis mis au français, franchement, c'est que j'avais fini par en sentir le besoin. Et le fait de ne pas avoir de modèle aussi, ça me plaisait bien.

Et pourtant donc... vlan tout s'arrête après Atomik Circus. Comment ne pas être triste, en tant que public, de voir les choses s'arrêter comme ça... surtout quand on voyait, à la même époque, les disparitions ou difficultés de groupes comme Married Monk, Oslo Telescopic, Sloy, ... et tant d'autres groupes qui laissent le sentiment durables de ne pas être nés à la bonne époque ? Avec ce doux rêve qui laisse imaginer que s'ils attaquaient une carrière aujourd'hui, ça se passerait mieux, différemment.

Je ne suis absolument pas d'accord avec cette appellation de groupes "pas nés à la bonne époque", je trouve que ça n'existe pas. On fait les choses dans son époque, point. Les groupes que tu sites ont fait des disques essentiels, et tout à fait de leur époque. A la rigueur, tu dirais, pas dans le bon pays. et encore. Non, c'est très bien comme ça, c'est la vie. On s'arrête un jour, on passe à autre chose, on n'abandonne pas pour autant la musique, on est à côté, ou on en fait encore. Moi, ces groupes là, je les ai écoutés, ça prouve bien que qui a des oreilles peut entendre?

Je vais peut-être dire une connerie, mais j'ai le sentiment que si on ne devient pas gros, c'est parce qu'on en a pas envie. j'ai cinquante balais et je n'échangerais mon statut pour rien au monde. Je n'ai absolument pas envie d'être hyper connu, ça ne m'intéresse pas, je n'ai absolument pas envie de faire une tournée mondiale, ça tombe bien, on ne m'en propose pas. J'aime les petites choses, les petits endroits, et j'aime beaucoup être chez moi, je ne peux pas m'éloigner des miens trop longtemps, j'aime être seul. J'aime les gens, j'aime qu'il me manquent, comme ça, j'aime les retrouver.

(...)

Je persiste à penser que les choses se sont passées exactement comme elles devaient se passer, on a fait ce groupe-là dans le monde où on était, à l'âge qu'on avait et pour ce qui est de la carrière, je n'ai perso jamais fait de plan de carrière, si ce n'est espérer pouvoir faire de la musique le plus longtemps possible et en vivre un peu, ce qui n'est pas un plan, mais plutôt, un espoir. Déjà parce que c'est vraiment un cool boulot (puisqu'on parle de carrière). Si on ne me demandait plus du tout de me produire sur scène, alors je passerais à autre chose, et je ferais de la musique pour moi, de la musique gratuite, sur un site où les gens pourraient la télécharger, gratuitement, si ça les intéresse. Pour l'avoir chez eux. Aujourd'hui, ce que j'aime plus que tout, c'est fabriquer, et quelques moments de grâce sur scène, entre deux pains. Et surtout si je devais "attaquer une carrière aujourd'hui", je fuirais illico, parce que cette formulation "attaquer une carrière", me fait direct flipper, tout à coup, on se retrouve avec un but qui dépasse le fait d'inventer des chansons, et qui semble prendre la pas. Je ne sais pas comment ça se passerait. Si j'avais vingt ans aujourd'hui, j'aurais vingt ans aujourd'hui, et je trimbalerais les mêmes doutes qu'à l'époque, mais d'aujourd'hui. Je me démerderais.

(...) Pour ma part, j'arrêterai quand je n'arriverai plus à gagner ma vie par la musique. Alors je ferai autre chose, de manuel je crois, de retiré, dans la nature, et je continuerai à enregistrer des choses en douce, pour moi.

* même si quelque part Le Poste de radio sur l'album Grand Public pouvait nous y préparer

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