14 mar. ~ Baden Baden ~
l Baden Baden l Mille éclairs l
La première impression fait en général impression, ce genre d'empreinte indélébile comme une tache dont on n'arrive pas à se défaire... Quand c'est une tache sur soi, on apprend à vivre avec. On l'oublie, on l'intègre. Quand la tache est chez l'autre, comme cette histoire de paille et de poutre dans l'oeil du voisin, elle s'attache, on ne voit plus qu'elle, une sorte de persistance rétinienne...
Là, en l'occurrence, la persistance est de l'ordre auditif, pour avoir vu Baden Baden et surtout écouté en concert à l'époque dans un endroit pas complètement fait pour près de la place de la Bastille.
De rares blogs en portent encore la mémoire, mais le groupe lui-même semble avoir oblitéré, enterré, renié (?) ce qui avait tout de même les atours d'un album, aujourd'hui pour ainsi dire excommunié - peut-être pour les imperfections d'enregistrements avec des bouts de ficelles qui trouvaient justement leur valeur dans le fait de ne pas les dissimuler et qui donnaient aux chansons une authenticité et une magie palpable... que ce soit la reprise du magnifique L'Autre bout du monde d'Emilie Loizeau ou les très Girls in Hawaï/Radiohead Phonebooth et Could You Could You.
La richesse des influences qui transparaît de ce premier essai, que l'on pouvait considérer comme transformé, avait au moins le mérite d'afficher la couleur, l'audace et l'envie de produire des chansons pop intelligentes, complexes, raffinées.
Au fil du temps, le chanteur Eric Javelle a largué les amarres avec la langue anglaise. L'évolution du contenu sémantique, la prise de distance avec des textes explicites pour privilégier une poésie à double fond qui choisit l'image et la transcription d'un sentiment, plus que l'expression littérale du sentiment lui-même, est tout ce qui donne de la force à Mille éclairs.
Face à cette pop-folk orchestrale et aérienne, qui, sur scène, invite avec délectation quelques orages électriques, la logique - et peut-être le réflexe du journaliste - serait de chercher une comparaison avec des auteurs de préférence anglo-saxons et masculins mais à vrai dire la fragilité qui émane de leur univers se retrouve essentiellement et plus souvent chez des artistes féminines... notamment dans l'utilisation des guitares pour conduire les émotions d'un morceau, comme Sharon van Etten (Serpents), comme Julie 'Tiny Dinosaurs' Peel. S'il fallait se résoudre à chercher du côté des artistes à testostérone contrôlée, peut-être qu'Andrew Bird ou Bon Iver aideraient à cerner leur univers, voire même notre exilé frenchie Sébastien Schuller époque Evenfall.
Une chose est sûre néanmoins. Le travail réalisé avec l’Anglais Barny Barnicott apporte une richesse et une délicatesse impressionnante dans la restitution des morceaux, jusque que ce petit clin d'oeil Thom Yorkéen sur Depuis toi.
Quoi qu'il en soit, l'album précédent Coline (2012) montrait qu'ils n'avaient besoin de personne pour concevoir une musique, des arrangements et des orchestrations qui racontent des histoires à elles-seules et pour lesquelles, en exagérant à peine, les textes viendraient se poser comme une cerise sur le gâteau. Mais il serait bien réducteur d'opposer paroles et musique ou de ne les considérer que comme complémentaires, puisque les textes, aujourd'hui quasiment exclusivement en français, apportent un supplément d'âme qui vient se fondre dans l'orchestration globale.
On est certes face à un talent rare et similaire à ce que les Québécois comme Karkwa ou Monogrenade maîtrisent à la perfection... arriver à donner au français un accent musical anglais sur des métriques elles aussi anglo-saxonnes... une qualité que l'on a pu retrouver chez Elista, époque Folie Douce, et chez Florent Marchet, auquel il est régulièrement fait référence en ce qui concerne Baden Baden... une histoire de timbre de voix mais pas que.
...Peut-être l'un des plus beaux exemples de ce que la France peut produire en matière de pop, qui ne soit ni de la variété, ni d'inspiration belge ou québécoise ?
Baden Baden excelle également dans ces accélérations up tempo imperceptibles au coeur d'une même chanson... comme l'effet produit par ce bout de carton coincé avec une pince à linge sur la roue d'un vélo. Mouliner pour accélérer, augmenter la cadence puis lever les pieds et sentir le vélo ralentir, le rythme se cristalliser l'espace d'un instant, avant de doucement décliner.