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04 fév. ~ Rodolphe Burger ~


l Rodolphe Burger l Good l

Good, c'est grosso modo ce sentiment, la plénitude, que tout un chacun peut ressentir à l'écoute de ce nouveau disque de Rodolphe Burger.

Pour autant, tout ce qui est beau n'est pas forcément simple ni facile à mettre en oeuvre, mais une fois encore cet album associe la qualité et l'exploration sonore auxquelles Rodolphe Burger nous a depuis longtemps habitués.

Good est encore une fois avant tout l'histoire d'une rencontre et d'un partage. Depuis la fin du chapitre Kat Onoma, il n'a jamais reculé devant le défi d'une rencontre, quitte à prendre parfois l'auditeur par surprise (Doctor L, James Blood Elmer, Eric Marchand, Rachida Brakni, ...). Il reste néanmoins entouré des fidèles habitués Olivier Cadiot, Pierre Alferi, Julien Perreaudeau, Alberto Malo, Sarah Murcia...

Ici, la rencontre musicale s'est faite avec Christophe Calpini, qu'il décrit comme un véritable homme-machine, expliquant qu'à chaque nouvel album, il se met en recherche d'une nouvelle proposition.

Il correspondait à ce que je recherchais. Un album solo c'est le moment où je retourne à la mine (...) où j'ai besoin d'un allié du côté du son ..., explique-t-il, précisant que la trame a réellement pris sens et forme dans le cocon du studio.

Le point de départ ? Une envie de travailler avec l'helvète batteur, producteur et homme de son qui avait germé à la suite d'un hommage en terre suisse à Alain Bashung, et d'une première tentative de travail commun mais qui avait avorté.

Une persévérance dont on ne peut que se réjouir à l'écoute du résultat.

À l'arrivée ? C'est un peu une histoire de transhumance, les sessions ayant été réparties entre Rome, Paris, Sainte-Marie-aux-Mines et, surtout Lausanne, sur une période de deux ans.

Ce qui a été le plus décisif, ça a été la première résidence, celle de Lausanne, parce qu'elle a duré un mois et que beaucoup beaucoup de choses se sont construites là, raconte-t-il, décrivant les premiers jours en studio comme un processus de mise en place d'un appareil sonore avec des points de repère qui vont servir ensuite de matrice à l'ensemble de l'album.

Un dispositif vivant qui autorise un jeu permanent avec les circonstances, ajoute-t-il des étincelles dans le regard. Tout l'art de Calpini, c'est de faire que ça va rentrer (dans le cadre).

On connaît en cela la culture ni allemande ni française des artistes suisses, dont l'une des illustrations serait la musique de Grauzone. Calpini, lui, exerce en parallèle ses talents de musicien au sein de formations telles que Mobile in Motion et Stade.

On comprendra au fil des titres l'apport de ce camarade de jeu et de cette feuille de route, jusqu'à la nouvelle version de FX of Love* - qui flirte, presque, selon moi, avec un indus tel qu'il s'en est produit au Studio des Forces motrices.

Le point de départ pour cette nouvelle version (de FX of Love), c'est un sample de Garnier, qui a inspiré une version plus brutale... puis on a retiré la boucle pour amener le truc encore plus loin, explique-t-il.

Cette trame de travail, poussée à l'extrême, pour superposer, ajouter, supprimer des couches et des calques est au centre de la construction de ce disque, souligne-t-il, un disque que l'on pourrait d'emblée juger plutôt très littéraire, avec ses nombreuses références à des textes de Samuel Beckett, E.E Cummings, Georg Büchner, Goethe... mais pas du tout.

Je me suis servi de ces voix d'écrivains qui me fascinent (...) pas du tout pour le côté littéraire mais pour des raisons musicales (...) comme des patrons pour dessiner des lignes mélodiques, des harmonies...

J'épouse la voix puis je la vire. On ne sait plus au final qui est l'écho de quoi. Cette espèce de retournement produit un effet vertigineux (...) (Les écrivains) inventent des mélodies que jamais aucun chanteur n'inventerait.

Sur Waste Land, c'est bien la voix de T.S. Eliot qui surgit pour appuyer le propos de ce blues funéraire... qui a bien failli ne pas être sur le disque... parce que ça ne marche pas toujours, avoue-t-il, en référence donc au dispositif mis en place par les deux hommes.

Déjà ça me fascine qu'il y ait la voix d'Eliot. Tu vas sur internet tu tapes Waste Land et tu as Mister Eliot qui lit TOUT Waste Land. Vingt-six minutes. Il y a un côté accès aux archives avec internet que je trouve dément.

Souvent, explique-t-il, le point de départ est musical (...) je cherche des chemins, d'autres inspirations mélodiques à travers la voix des écrivains... Cummings, Eliot, ça chante ! Je cherche des rythmiques (...) au pifomètre (...) un peu à l'arrache, et puis, tout d'un coup, il y a un truc complètement bancal mais qui groove...

Le challenge c'est de faire groover quelque chose qui au départ est anti-groove, qui n'existe pas... qu'aucun batteur n'inventerait jamais. Il y a ce processus d'aller prendre un truc complètement ailleurs, de se l'approprier et d'arriver à faire que ça devienne organique. C'est ce qu'on a beaucoup fait.

Dans leur laboratoire lausannois, les deux alchimistes ont même poussé l'expérience plus loin en terme de rythmiques... technique mais ludique.

On avait des boucles. On les a décomposées. On a dédoublé les plages rythmiques, entre Calpini qui apporte des sons électroniques avec des pads et Alberto Malo qui joue avec des batteries acoustiques. Il y a vraiment une répartition des rôles entre l'électronique et l'acoustique que j'adore. Il y a le mélange des deux en permanence (...) C'est l'équilibre de ce disque.

Voilà pour le technique, et pour le ludique...

Souvent le jeu c'était... Je venais avec une boucle bien bancale mais intéressante. Les gars se disaient Ça tourne en quoi ? en 13 ? Comment on va faire pour faire groover ça ?

Quelque fois ça marche, et ça apporte un truc nouveau au morceau. Ça l'apporte ailleurs... D'autres fois ça rate et ça reste vachement mieux avec ma boucle pourrie.

Parfois quand c'est produit, ça devient lourd et ça perd du sens parce que le défaut fait partie intégrante du truc. Donc les pauvres, quand c'est le truc tout pourri qui est mieux (rires). C'est comme ça que des morceaux sont restés au rencard. Et (Waste Land) ça m'emmerdait, parce que je l'aimais beaucoup donc on l'a repris avec Calpini, tous les deux, plutôt en fin de mix, en studio, et on la remachiné avec une approche plus studio qu'au départ et là, le résultat me ravit.

Si tu écoutes, en termes de rythmique, ça groove dub (...) mais c'est super bancal !!! C'est un mouton à je ne sais pas combien de pattes.**

Résultat. Douze titres qui, malgré la fausse idée que le dispositif pourrait contribuer à figer les structures, débouchent sur une palette de titres qui s'offrent même un détour par une sorte de cumbian dirt blues, et un titre... qui amène l'Alsacien à changer de timbre de voix et (presque) chanter, une chose suffisamment rare pour devoir être notée.

Et toujours cette capacité à produire des textures sonores rendant la musique presque palpable.

Un régal donc.

* de précédentes versions sur Cheval-Mouvement, en live, et avec Eric Marchand, ...

** un travail et une sensibilité à laquelle Rodolphe Burger admet volontiers avoir été initié en un certain sens par le travail effectué à l'époque de Meteor Show (1998), avec Doctor L, un disque qu'il dit avoir vécu comme une opération à coeur ouvert tout éveillé.

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